SUNDOWN : les droits du sang

Michel Franco s’est forgé au fil de sa carrière une réputation de cinéaste « choc », en raison des sujets de ses films et de sa propension à en malmener les personnages. Sundown prend le contrepied de cette image (ou prouve peut-être qu’elle a toujours été au moins partiellement fausse), en accompagnant avec retenue la mise en retrait de son héros, désireux de s’extraire d’une existence passée à être abîmé par le monde dans lequel il est né, où les privilèges causent plus de mal que de bien.

Neil (Tim Roth, qui retrouve Franco après Chronic), le protagoniste de Sundown, profite d’une convulsion imprévue dans le cours des choses – le décès de sa mère, qui provoque la fin précipitée des vacances familiales – pour tirer un trait sur sa vie active et opulente, s’effacer de son monde. Il quitte le resort luxueux situé en lisière d’Acapulco où il logeait, pour un hôtel ordinaire au cœur de la ville, près d’une crique seulement fréquentée par les gens du coin et où chaque jour est identique au précédent, les pieds dans l’eau, une bière à la main et le soleil brillant dans le ciel. La rupture est totale, sur tous les plans : géographique, sociologique (de serviteurs simplement utilitaires, invisibilisés et déshumanisés, les locaux deviennent des êtres de chair et de sang), et pourquoi pas mythologique, Neil troquant la promesse commerciale du paradis pour son expérience plus concrète et modeste. Ce cheminement du personnage porte déjà en soi de quoi rendre le film hors du temps, déconnecté de l’agitation du présent, car les références culturelles qu’il charrie sont presque centenaires, la figure d’Hemingway (tout plaquer pour partir boire sous les Tropiques), le film noir de l’âge d’or d’Hollywood dont Sundown reprend certains des codes – la description d’un milieu interlope fonctionnant de manière autonome, le récit d’un homme revenu de tout et qui y refait sa vie.

Le droit du sang est une malédiction plus qu’une bénédiction pour son héros, que ce soit sous la forme de l’héritage dont il a toutes les peines du monde à se défaire, ou de la richesse et du statut obtenus par sa famille grâce au sang versé des animaux

Il y a également dans le récit un embryon d’intrigue criminelle, mais qui n’intéresse pas plus que ça le film car Neil n’en a lui-même que faire, tout comme il reste impassible face à la perte de ses possessions matérielles. Tel Diogène, il embrasse, voire appelle de ses vœux, cette évolution vers une ascèse matérielle de plus en plus marquée (chemise blanche pas repassée, caleçon de bain et tongs : Tim Roth n’a certainement jamais connu un tournage aussi tranquille en termes de costumes). La mise en scène et le montage de Michel Franco se montrent entièrement en phase avec cette manière d’appréhender le monde, ce qui déconcerte de prime abord puis tisse peu à peu un cocon placide, qui trouvera sa pleine expression dans le plan final. Autre principe étonnant puis apaisant, chaque confrontation, chaque révélation viennent affiner plutôt que compliquer la situation, en renforçant la franchise et la netteté du parcours du personnage, du (trop-)plein vers le vide, de la présence vers l’absence. Les seules entorses à cette ligne de conduite – suivre fidèlement la réinvention frugale de Neil – que le film s’autorise servent à expliciter ce que son protagoniste fuit. Sans jamais alourdir le récit, Franco parsème son film de signes, de situations (portez une attention particulière aux nombreuses scènes de repas, contre-intuitives) qui creusent en filigrane mais de manière entêtante un propos fort sur les manifestations néfastes du droit du sang. Celui-ci s’avère être une malédiction plus qu’une bénédiction pour son héros, que ce soit sous la forme de l’héritage dont il a toutes les peines du monde à se défaire, ou de la richesse et du statut obtenus par sa famille grâce au sang versé des animaux. En fin de course, le discours prend un tour anti-carnivore – profiter de la mort de ces êtres vivants est la cause symbolique la plus probable de la mort physique et mentale de Neil.

SUNDOWN (Mexique-France, 2021), un film de Michel Franco, avec Tim Roth, Charlotte Gainsbourg, Iazua Larios. Durée : 83 minutes. Sortie en France le 27 juillet 2022.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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