VIF-ARGENT : les mystères du 19ème arrondissement de Paris

Vif-argent commence par la fin : une mort. Mais Juste, le héros, s’en relève et reprend sa marche dans Paris, qu’il découvre sous un nouveau jour, à la fois familier et mystérieux. Juste est devenu un passeur entre le monde des vivants et celui des fantômes, et dans son sillage le beau premier film de Stéphane Batut endosse le même rôle, de passeur de cinéma entre le réel et le fantastique.

Dès son « réveil », Juste est pris en charge par des acteurs du monde qui est désormais le sien, acteurs qui ont une parfaite connaissance des règles de cet univers et qui sont en mesure d’indiquer sans tarder la place que Juste peut y prendre. Vif-argent s’écarte ainsi d’enjeux de surface tels que l’errance du protagoniste ou son apprentissage des règles, pour se concentrer sans attendre sur des choses plus essentielles et intenses : les transitions entre les mondes, la douleur causée par le vide insoutenable que laisse une personne aimée qui disparaît de notre vie.

Vif-argent est une rêverie envoûtante, nous plaçant à notre tour dans un état transitoire de promeneurs évoluant dans un décor à la fois connu et étrange

Tout ce qui a trait aux fantômes, à leur passage (au sens de la traversée du Styx, dont Batut propose ici une relecture tout à fait originale et cinématographique) entre la vie et la mort et aux changements d’espaces et d’états qui accompagnent ce mouvement, est très réussi, tant narrativement que visuellement. Ces séquences où Juste aide les âmes à atteindre l’autre rive sont d’une grande beauté rêveuse, les images (jeux sur les raccords improbables, les entrées et sorties du champ) remplaçant avec grâce les mots qui viendraient remplir de fastidieuses scènes d’explications dialoguées. Cette inspiration formelle qui habite le film se retrouve dans la façon neuve – chose de plus en plus rare – qu’a Batut de filmer Paris (surtout le 19ème arrondissement et ses lieux de vie si divers) et ses lumières (surtout nocturnes). Vif-argent y gagne une qualité de rêverie envoûtante, nous plaçant à notre tour dans un état transitoire de promeneurs évoluant dans un décor à la fois connu et étrange.

Le fil d’Ariane du récit est une histoire d’amour, entre Juste et une vivante, Agathe. Il s’agit de la part la moins réussie du film, qui patine et est émaillée de scènes maladroites. C’est regrettable, sans pour autant trop entamer la force du propos du film sur la douleur qui peut naître de l’absence des gens qui nous sont chers. Là se trouve la mort véritable, qui nous frappe tous quelque soit notre état ; tandis que le passage de vie à trépas ne représente qu’une manière de s’en aller parmi d’autres, qui peuvent prendre une forme géographique ou sentimentale. Cette compréhension de ce qui nous tue réellement, à petit feu, est le cœur ardent et blessé de Vif-argent, dont l’on emporte le souvenir avec nous après la fin de la projection – après la mort du film.

VIF-ARGENT (France, 2019), un film de Stéphane Batut, avec Thimotée Robart, Judith Chemla, Saadia Bentaïeb, Djolof Mbengue. Durée : 106 minutes. Sortie en France le 28 août 2019.

Erwan Desbois
Erwan Desbois

Je vois des films. J'écris dessus. Je revois des films. Je parle aussi de sport en général et du PSG en particulier.

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