Au format court et en grande forme, Weerasethakul vous offre son nouveau film : BLUE
Après une présentation à Toronto, Blue, court-métrage d’Apichatpong Weerasethakul, ne connaît certes pas de sortie salles mais une autre de prestige : il intègre le corpus de La 3ème scène, plate-forme créée par l’Opéra de Paris, invitant nombre d’artistes à proposer des films courts, visibles en ligne gratuitement (ont notamment répondu à l’invitation Amalric, Bonello, Forsythe, ou encore récemment Cogitore avec ses envoûtantes Indes galantes).
Jenjira Pongpas, muse du cinéaste, qui incarne encore et toujours la « tante Jen », s’est profondément endormie. Une fois de plus…
On l’avait pourtant quittée les yeux grands ouverts à la fin de Cemetery of Splendour (2015), mais on la retrouve les yeux grands fermés dans Blue.
Le sommeil reste l’une des obsessions de Weerasethakul, zone de passage entre la réalité, le rêve et d’autres formes de vie encore. Ici ne viendra pas un cut puis l’apparition discrète mais bientôt certaine d’un espace imaginaire, en revanche le contre-champ semble aussi bien indiquer que Jen navigue entre les mondes. On y découvre un cadre, comme un écran de cinéma ouvert, accueillant tous les possibles. Et légèrement plus loin des décors sur toile peints et déroulants, typiques d’un studio de photo, comme on peut notamment en voir en Chine (objet prépondérant des films La lampe au beurre de yak de Hu Wei et de Tharlo de Pema Tseden, récemment). Ce sont ici des peintures de paysages qui se déroulent et s’enroulent, plusieurs fois. De quoi supposer qu’il s’agit là des paupières de Jen, ses paupières intérieures en quelques sortes. Endormie, on l’imagine maintenant naviguer entre des mondes rêvés entremêlés.
Il faut dire que rien ne saurait réveiller Jen. La femme prend feu, mais dort encore. Weerasethakul joue brillamment d’une surimpression pour offrir l’illusion que des flammes, grandissantes, dévorent la couverture de tante Jen. Question de matière, rien ne sera fondu ; alors parlons ici d’un brasier enchaîné.
Très récemment, le premier épisode de la quatrième saison de la série Better Call Saul (Vince Gilligan et Peter Gould, 2018) proposait l’exacte même image : deux plans superposés, et des flammes sur la couverture du lit où dorment Jimmy McGill et Kim Wexler, mais qui ne sauraient troubler leur sommeil. Chez Gilligan et Gould, l’image sert à insister sur la quiétude d’un homme qui vient pourtant de perdre son frère aîné dans un incendie. Chez Weerasethakul, on peut dès lors s’interroger sur la vie de Jen. On la regarde mais la connaît si peu, tout est possible.
BLUE ( 2018), un film d’Apichatpong Weerasethakul, avec Jenjira Pongpas. Durée : 3 min. Sortie sur La 3ème Scène le 3 octobre 2018.