Après Twin Peaks : The Return, BLUE VELVET REVISITED : la jeunesse éternelle de David Lynch
Blue Velvet Revisited est né de la même manière qu’un autre documentaire sur le tournage d’un film, Jim & Andy : la reprise plusieurs décennies plus tard des rushes oubliés d’un making-of, pour en tirer finalement quelque chose avec le recul du temps écoulé. C’est à cause de ce qui a eu lieu au cours de ce temps écoulé que les deux documentaires empruntent, à partir de ce point de départ commun, des chemins entièrement différents. Man on the Moon, le long-métrage couvert par Jim & Andy, a été un point de rupture pour Jim Carrey, qui n’a plus jamais été le même ; tandis que Blue Velvet s’est révélé être la matrice de la suite de l’œuvre de David Lynch, lequel n’a par la suite jamais rompu avec les visions et les obsessions qu’il a concentrées dans ce film.
De nombreux moments captés sur le tournage par Peter Braatz, le réalisateur de Blue Velvet Revisited, l’affirment avec force. La scène de chant de Dorothy / Isabella Rossellini semble se dérouler au Club Silencio de Mulholland Drive ; l’élaboration méticuleuse de la ville fictive de Lumberton pave le chemin de la création de Twin Peaks, jusque dans la justification donnée par Lynch au choix du nom – « it creates an image in your mind ». Dans un autre entretien à bâtons rompus accordé volontiers par Lynch à Braatz en marge du tournage, le cinéaste se lance dans un long monologue passionné sur sa vision de l’apport possible de la technologie informatique au cinéma, dans un futur proche – plus de possibilités, de liberté, de rapidité. Ce discours raccorde avec l’attitude d’autres metteurs en scène contemporains de Lynch (Coppola, Spielberg, Lucas), et rappelle que cette génération ne voulait pas seulement changer Hollywood mais bien révolutionner l’art cinématographique dans son ensemble. Ce qui explique qu’ils aient compté parmi les plus grands inventeurs de formes nouvelles au début du 21è siècle ; dans le cas de Lynch, ce propos a trouvé sa mise en pratique la plus aboutie avec la saison 3 de Twin Peaks. L’espoir prophétisé par Lynch il y a trente ans et rapporté par Blue Velvet Revisited – les cinéastes pourront accomplir des choses magiques, les films seront protéiformes, partiront dans toutes sortes de directions – est devenu avec ce retour à Twin Peaks une réalité aussi inouïe que tangible.
« We are like the dreamer who dreams and then lives inside the dream » : trente-trois ans que cela dure
Mais sommes-nous vraiment en présence de la réalité ? Twin Peaks : The Return est une œuvre elle-même obnubilée par cette question, et qui s’interroge en particulier sur l’expérience du passage du temps et la possibilité de le tordre. Un de moments les plus vertigineux et déchirants de la série compose un champ-contrechamp que l’on croirait impossible, entre une scène de la saison 3 et une autre du film Twin Peaks : Fire Walk With Me tourné vingt-cinq ans plus tôt. Blue Velvet Revisited prolonge cette dénégation des règles régissant l’écoulement du temps en nous ramenant, plus de trente ans plus tard, David Lynch, Kyle McLachlan, Laura Dern sous leurs traits juvéniles d’alors – pour Lynch et McLachlan l’effet est même encore plus fort, à l’écran ils ont l’air d’avoir quinze ans alors qu’ils en avaient déjà respectivement trente-neuf et vingt-six. La réalité de leur âge à l’époque du tournage a elle-même été gommée, remplacée par une jeunesse éternelle et irréelle. Toutes les pièces du puzzle se rassemblent alors : si Dorothy (le prénom de l’héroïne du Magicien d’Oz) semble chanter dans le club de Mulholland Drive, Lumberton être l’autre nom de Twin Peaks, et le démoniaque Mr. C. de Twin Peaks : The Return faire sien.ne.s la tenue, la personnalité, le milieu de l’horrible Frank / Dennis Hopper, c’est parce que nous sommes – « en réalité » – dans le rêve dont David Lynch nous a ouverts la porte en nous faisant plonger dans l’oreille coupée au tout début de Blue Velvet. « We are like the dreamer who dreams and then lives inside the dream » (épisode 15 de Twin Peaks : The Return) : trente-trois ans que cela dure.
BLUE VELVET REVISITED (Allemagn-Slovénie, 2016), un film de Peter Braatz, avec David Lynch, Laura Dern, Kyle MacLachlan, Dennis Hopper, Isabella Rossellini. Durée : 85 minutes. Sortie en France indéterminée.