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Plus grande place de Rome, située au cœur d’un quartier populaire en plein centre de Rome (entre la gare et le Colisée), la Piazza Vittorio est un lieu grouillant de vie. Après avoir déjà accueilli de nombreuses migrations, elle est aussi devenue le point de chute des réfugiés dans la capitale italienne – comme si République, Belleville et Jaurès étaient concentrés en un même endroit dans son homologue française. Abel Ferrara en tire un portrait en forme de kaléidoscope, dont la justesse se révèle à mesure qu’il se dessine devant nos yeux.
Durant les premières minutes de Piazza Vittorio, on se dit qu’Abel Ferrara fait un peu n’importe quoi. Les entretiens qu’il mène n’ont pas de ligne directrice claire, pas de rigueur formelle non plus – il alterne entre poser des questions et laisser parler ses interlocuteurs, son équipe technique et lui-même passent régulièrement dans le champ de la caméra… Alors quand ses pas croisent ceux de résidents droitistes, et qu’il les laisse débiter leurs vues rances quant à l’immigration actuelle et ses conséquences (parce que Ferrara laisse parler chacun comme il l’entend, et que ces personnes-là parlent souvent plus fort et plus longtemps que les autres), on craint de voir ce documentaire tourner à la mésaventure malheureuse. Il n’en sera rien, car bien que Ferrara continue jusqu’au bout à faire un peu n’importe quoi, laissant volontiers vivre devant sa caméra cette place immense, le quartier qui l’entoure et tous les gens qui y évoluent, il garde le contrôle – même si c’est un contrôle relâché – sur son film.
Ainsi, chaque fois qu’un intervenant s’égare en paroles venimeuses ou déplacées, Ferrara lui répond avec finesse par le montage ; accolant au discours qui vient de s’épancher une séquence qui le contredit simplement et pertinemment par l’image. D’une manière plus globale, son geste d’aller voir tout le monde sans faire de tri, et de leur tendre un micro pour qu’ils nous disent qui ils sont, d’où ils viennent, ce qu’ils ont à l’esprit, est la meilleure réponse possible à l’intolérance et aux divisions. En prenant son temps, Piazza Vittorio reconstitue à quelques centaines de mètres du Foro Romano antique un forum moderne. Les italiens présents de longue date y coexistent avec des habitants d’autres origines, qui n’ont eux-mêmes que peu en commun les uns avec les autres – ils sont venus de Chine ou de Moldavie, du Bangladesh ou d’Égypte, de Bolivie ou des États-Unis ; et sont commerçants, ouvriers, restaurateurs, artistes (un certain Willem Dafoe, désormais résident du quartier comme Abel Ferrara qui se présente lui-même comme immigrant, étant né et ayant passé sa vie à New York). Ils racontent des tranches de vie, des anecdotes tragi-comiques qui contiennent souvent plus de matière que des discours théoriques et abstraits.
Avec ce film et la manière dont il l’a composé, Ferrara nous rappelle qu’un sujet tel que l’immigration, le mélange des cultures au sein d’un même lieu, n’est pas problématique en soi ; ce sont les opinions des individus qui lui donnent ou non cette tournure. Il y a et aura toujours des voix qui s’élèveront, voire crieront, pour tenter de le faire, mais rien ne nous force à leur accorder plus de poids qu’elles n’en ont réellement. Car autour de la Piazza Vittorio, Abel Ferrara a trouvé et rassemblé nombre d’autres voix qui, sans dire que tout est parfait, veulent bien croire à un avenir commun puisque l’expérience du présent en commun (symbolisée par les beaux derniers plans du film) en vaut la peine.
PIAZZA VITTORIO (Italie, 2017), un film d’Abel Ferrara, avec Willem Dafoe, Matteo Garrone, et les autres habitants du quartier Esquilino de Rome. Durée : 76 minutes. Sortie en France indéterminée.