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Une femme loue trois panneaux publicitaires pour y placarder son indignation face à l’incapacité de la police à trouver le coupable du meurtre et du viol de sa fille plusieurs mois plus tôt. Cet acte de défi désespéré n’a aucune conséquence positive, mais met en branle un engrenage de colère et de violence impliquant plusieurs vies, plusieurs drames, plusieurs faiblesses dans un récit superbe d’intelligence et de densité, porté par une mise en scène et une interprétation tout aussi puissantes. En trois mots : du grand art.
La mère endeuillée en question (Mildred / Frances McDormand) n’a rien d’une sainte ou d’une héroïne – ses échanges tendus, voire brutaux avec les autres personnages fixeront cela rapidement. C’est toutefois la mise en scène qui nous en fournit la première preuve, dès le moment de l’entrée en ville de Mildred pour procéder à la location des panneaux d’affichage. Sa démarche, le décor (Ebbing, prototype de la petite ville américaine avec sa main street bordée de tous les principaux commerces et services), la musique font de la séquence une introduction de western. En confrontant la police Mildred veut se muer en archétype de ce genre cinématographique, le grain de sable qui vient dérégler l’équilibre des forces en vigueur pour obtenir une réparation impliquant une vengeance qui ne se discute pas. Le danger qui menace la ville d’Ebbing est que Mildred est loin d’être la seule à rêver d’un retour aux lois sauvages du Far West – les policiers locaux seraient plus que ravis de pouvoir régler les affaires par un recours discrétionnaire à leurs seuls poings et pistolets.
On tire et on condamne d’abord, on réfléchit et on questionne après : c’est certes plus facile à mettre en place, mais une fois appliqué à la réalité cela ne rend la vie de personne meilleure. La première partie de Three billboards en fait la démonstration, en suivant l’engrenage dangereux de coups bas et de représailles dont la provocation via les panneaux d’affichage a été l’étincelle. McDonagh fait alors d’ores et déjà étalage d’une grande qualité d’écriture et de réalisation. Il utilise à merveille l’inscription dans le temps et l’espace des séquences pour leur donner encore plus d’impact, il rend chaque protagoniste marquant et intéressant à suivre et, point le plus impressionnant, il déclenche en nous des émotions franches et irrésistibles à des moments inattendus. Écouter le plus bas de plafond des policiers (Jason / Sam Rockwell) tenter de se défendre d’accusations de torture sur un noir arrêté à tort, en se trompant de cible dans son emportement (il s’énerve sur le fait qu’il faudrait désormais dire « torturer une personne de couleur » et non « torturer un noir », sans saisir le problème autrement plus grave que pose l’acte en soi), provoque ainsi une crise de fou rire sur un sujet pourtant gravissime, tant les dialogues sont parfaitement écrits et interprétés.
Plus loin, le déroulement d’un suicide tel que l’a planifié un père de famille atteint d’un cancer incurable nous émeut aux larmes, pour la même raison – la puissance émotionnelle considérable et inébranlable que le cinéma est capable de véhiculer. Celui qui met fin à ses jours était le seul à être respecté par toutes les parties en présence à Ebbing, et donc celui grâce à qui une paix fragile subsistait en ville. Cet homme a beau avoir tout prévu pour faire de sa mort l’évènement remettant les uns et les autres sur le chemin d’une paix plus durable, hors des codes archaïques du western, une fois qu’il s’est retiré de la scène les digues rompent. Les escarmouches deviennent des crises de colère aux répercussions autrement plus graves – un long passage à tabac en plan-séquence, un incendie dantesque. Le film, qui avait déjà démarré très haut, trouve là une voie par où poursuivre son ascension : la conscience que les forces de haine et de violence sont si massives, qu’il faut du temps avant de pouvoir espérer les voir s’estomper. Elles sont comme un train lancé à pleine vitesse et qui, de par l’inertie de son mouvement, nécessite plusieurs kilomètres pour s’arrêter en causant encore d’importants dégâts sur son passage.
Le dernier acte de Three billboards voit McDonagh associer à son intelligence et sa virtuosité un troisième élément, qui parachève l’accomplissement de l’œuvre : l’humanité. Par une série de retournements brillants, tant d’un point de vue narratif que moral, le cinéaste ramène ses personnages du côté de la vie plutôt que des pulsions de vengeance et de mort. Il n’est en aucun cas question de verser dans l’angélisme ou de forcer un happy-end irréaliste – McDonagh joue d’ailleurs de manière très habile avec ce piège, faisant mine de s’en approcher pour mieux le balayer d’un geste. Il procède de même avec le piège opposé, qui consisterait à retomber dans un cynisme amer qui verrait les personnages s’abandonner de nouveau à la satisfaction brève et vaine de la vengeance. Ces flirts appuyés et maîtrisés avec un excès de satisfaction comme de malheur délimitent la voie qui s’ouvre finalement aux protagonistes de Three billboards : la voie de la vie ordinaire, où il faut savoir se contenter d’un peu et être prêt à devoir endurer beaucoup. Incarner des individus embarqués sur ce chemin offre à Frances McDormand, Sam Rockwell, Woody Harrelson des rôles enfin à la mesure de leur talent, et qui comptent au nombre des plus beaux vus à l’écran ces derniers temps.
THREE BILLBOARDS OUTSIDE EBBING, MISSOURI (USA, 2017), un film de Martin McDonagh, avec Frances McDormand, Woody Harrelson, Sam Rockwell. Durée : 115 minutes. Sortie en France le 17 janvier 2018.