VENISE 2017 en 6 autres films : de LEAN ON PETE à LA VILLA
Un adolescent américain fugueur et son cheval, le conte de fées (très) raté de Sara Forestier, Isabelle Huppert dans le rôle d’Isabelle Huppert, quatre décennies de musique de Ryuichi Sakamoto, Hirokazu Kore-eda qui se prend pour Kiyoshi Kurosawa, la troupe de Robert Guédiguian qui vient en aide aux réfugiés : en plus de ceux dont on vous a parlés plus longuement dans ces pages, six autres films vus à cette belle Mostra vénitienne.
LEAN ON PETE de Andrew Haigh (Compétition). Le réalisateur britannique Andrew Haigh fait le même saut par-delà l’Océan Atlantique, pour aller tourner aux États-Unis, que son compatriote Martin McDonagh avec le superbe Three billboards outside Ebbing, Missouri (dont on vous parle en détail ici). Le résultat est ici aussi une réussite. Lean on Pete suit la fugue d’un adolescent, Charley, qui voit les humains et les animaux qui lui sont chers lui être brutalement arrachés, et ses idéaux être trahis par les personnes qui l’entourent. La fuite en avant de Charley tourne à la descente aux enfers, par manque d’un cadre stable où trouver à s’épanouir – les choses peuvent alors tourner très mal très vite. Haigh troque ses précédents drames intimistes (Week-end, 45 ans) pour les grands espaces américains, où il déploie la même qualité de récit, la même faculté à entremêler avec beaucoup de doigté émotion et cruauté. Et le même talent de directeur d’acteurs : du premier (le jeune Charlie Plummer) aux seconds rôles (Chloë Sevigny, Steve Buscemi), tous sont parfaits.
M de Sara Forestier (Venice Days). Parions qu’il s’agit là du pire film présenté cette année à la Mostra. Il aurait fallu voir toutes les œuvres pour s’en assurer, mais on imagine mal cette édition 2017, de très bonne tenue, compter un long-métrage plus raté que la première réalisation de Sara Forestier. M est aux analphabètes et aux bègues ce que T’aime de Patrick Sébastien était aux simples d’esprit : une anomalie dont la bonne volonté supposée ne fait que souligner la bêtise. Nous revient en tête la critique que le magazine Première avait consacré en son temps à L’âme sœur. Son auteur se demandait au nom de quoi, de quels talents insoupçonnés, les producteurs avaient confié à Jean-Marie Bigard, déjà scénariste, la mise en scène et l’interprétation de cette chose. Il est fascinant de voir reconduite une telle aberration dans le cas de M, écrit, mais aussi réalisé et interprété par Sara Forestier, actrice incontestablement douée, sauf pour les rôles de composition (et comme un malheur n’arrive jamais seul, vous avez déjà deviné que son personnage est justement une composition). En tant que comédienne, elle confond trop souvent problème d’élocution et autisme léger. En tant que scénariste, elle construit sur du sable (la rencontre entre une lycéenne préparant son oral de français et un jeune homme qui gagne son argent dans des défis automobiles suicidaires) un édifice branlant au possible (elle est bègue, il est analphabète ; ça va pas être de la tarte pour communiquer). En tant que réalisatrice, la pauvre semble totalement lâchée par les siens, comme le sont les entraîneurs de Ligue 1 quand leurs joueurs en ont assez d’être minés par de mauvaises consignes. Les scènes sont souvent inutilement longues (celle du McDo, quand une fillette tente d’enseigner la lecture au grand gaillard, met la patience du spectateur à rude épreuve), les approximations du montage confinent parfois au sabotage (un coup de poing dont l’impact s’évanouit dans la collure entre deux plans et ne touche pas sa cible, qui s’écroule quand même) et personne n’est assez miséricordieux pour diriger des acteurs qui n’ont rien à dire et le font mal. On vous épargne la niaiserie des cartons reprenant les poèmes écrits par l’héroïne, de la même manière que vous devriez vous épargner l’ensemble du film.
MARVIN de Anne Fontaine (Orizzonti). Il s’agit d’une adaptation officieuse de l’histoire d’Eddy Bellegueule devenu Édouard Louis. Le film souffre des mêmes travers qui avaient pu être reprochés au livre « En finir avec Eddy Bellegueule » d’Édouard Louis : une main très lourde dans la description cauchemardesque d’un sous-prolétariat campagnard homophobe, raciste, semi-sauvage ; et à l’inverse un aveuglement béat face au milieu bourgeois culturel parisien vierge de tout défaut qui va sauver le héros. C’est regrettable, car Marvin avait en lui de quoi être un très beau film – ce qu’il est tant qu’il reste au plus près de son héros, et de son accomplissement personnel via le théâtre. Cela donne des scènes mémorables (l’apaisement final de la relation avec le père), et des personnages forts – les deux femmes qui aident Marvin à trouver sa voie, jouées par Catherine Mouchet et Isabelle Huppert… dans le rôle d’Isabelle Huppert. Laquelle a la plus belle réplique du festival : « si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous miaulez ».
RYUICHI SAKAMOTO : CODA de Stephen Nomura Schible (Hors compétition). Petit documentaire sur un grand musicien. Il souffre d’un effacement excessif devant Sakamoto, dont le réalisateur donne sans cesse l’impression d’attendre l’assentiment pour suivre un piste, creuser un sujet, poser une question. La matière reste intéressante, car il est toujours captivant de voir comment un artiste vit passionnément son art (Sakamoto est sans cesse en quête de sons et de la meilleur manière de les saisir, puis de les associer) ainsi que de fouiller dans les archives de sa longue carrière – avec le groupe électro Yellow Magic Orchestra dans les années 70, comme compositeur pour le cinéma dans les années 80 (Furyo bien sûr, les films de Bernardo Bertolucci aussi). Mais selon des critères de cinéma documentaire, pour juger de la forme du film, on est vraiment face au service minimum.
THE THIRD MURDER de Hirokazu Kore-eda (Compétition). Après s’être ouvert sur un plan inimaginable chez son auteur (un meurtre de sang-froid), The third murder plonge peu à peu ses spectateurs dans le même doute quant au but de son réalisateur, que ses personnages face aux intentions du meurtrier. Hormis pour faire de très beaux plans autour de la vitre du parloir où dialoguent l’avocat et son client, Kore-eda n’inculque jamais la tension ou la conviction nécessaire pour que le vertige en germe dans son récit d’enquête (un Usual Suspects en puissance, sur la manipulation des esprits par la parole, et le détournement à l’infini de la vérité) prenne racine. Et pour que l’on ressente autre chose qu’un ennui poli, tout en rêvant à ce que Kiyoshi Kurosawa aurait fait de ce sujet.
LA VILLA de Robert Guédiguian (Compétition). Le film aborde un beau sujet – comment la lutte des idées a définitivement été perdue par les vieux communistes, l’âme de la jeunesse d’aujourd’hui étant acquise au camp adverse ; et comment il faut donc trouver un autre combat, pour concevoir une nouvelle vie, par exemple aux côtés des réfugiés qui cherchent asile chez nous. Malheureusement, Guédiguian se perd en route en surchargeant ses personnages de trop de tâches à accomplir – ressasser le passé, porter le point de vue de leur classe entière sur le monde. Ils n’ont plus assez d’espace pour exister par eux-mêmes et sonnent faux, comme c’est le cas de la plupart des dialogues mis dans leur bouche, à visée théâtrale mais ratés. Pour une fois, le jeu de théâtre de troupe de Guédiguian et sa compagnie ne fonctionne pas, hormis par instants : l’acte final, et avant cela un très beau flashback utilisant un extrait d’un ancien film de Guédiguian, Ki lo sa ? (1985), avec (évidemment) les mêmes acteurs alors trente ans plus jeunes qu’aujourd’hui.
La 74ème Mostra de Venise s’est déroulée du 30 août au 9 septembre 2017.