MOTHER ! : le petit garçon qui aimait détruire les maisons de poupées

mother ! marque le retour de Darren Aronofsky à un cinéma en rupture radicale avec la narration classique, onze ans après The fountain. Cette fois, les stars initialement engagées sont restées à bord jusqu’au terme du projet, mais le film est programmé pour diviser tout autant son public. The fountain demandait, pour l’apprécier pleinement, que l’on partage la croyance mystique de son héros jusqu’à sa transcendance finale ; mother ! se projette à l’autre extrême, en attendant de nous que l’on prenne plaisir à souffrir le même cauchemar que celui qu’il inflige à son héroïne.

L’histoire du film démarre avec la seule information donnée par son synopsis : un couple (non nommé, joué par Jennifer Lawrence et Javier Bardem) voit sa maison et son quotidien envahis par un autre couple (non nommé également, incarné par Michelle Pfeiffer et Ed Harris) qui leur est inconnu. S’en suit un enchaînement de mauvaises surprises et d’accidents qui rend la situation de plus en plus incontrôlable et menaçante pour l’héroïne, à qui la caméra reste rivée du premier au dernier plan. C’est un pur cauchemar qui se débobine, construit comme tel par Aronofsky en suivant une logique de proche en proche : chaque point est relié de manière pertinente à celui qui le précède, mais cette pertinence se brise si l’on tente de comprendre comment de A on est arrivés à C. Le résultat est, pour l’héroïne, une spirale qui ne cesse de déraper et de gonfler jusqu’à l’explosion ; et pour le spectateur un tour de grand huit déchaîné, qui secoue par sa virulence et tétanise par son caractère anxiogène.

Arrive un moment où chaque passage d’une pièce à l’autre de la maison, et même chaque coupe d’un plan à un autre, fait franchir d’un bond une dizaine de crans sur l’échelle de la démence et de la souffrance ; mais cette surexcitation outrancière se révèle contreproductive

Puis, après une courte accalmie, on repart pour un deuxième tour de manège – sans s’être rendu compte que l’on avait attrapé la queue du Mickey qui donne droit à un tour gratuit. Ce deuxième passage se veut cent fois plus hystérique, destructeur, infernal que le premier. Arrive un moment où chaque passage d’une pièce à l’autre de la maison, et même chaque coupe d’un plan à un autre, fait franchir d’un bond une dizaine de crans sur l’échelle de la démence et de la souffrance. Mais cette surexcitation outrancière se révèle contreproductive. Elle anesthésie face au carnaval des horreurs défilant devant nos yeux à un rythme frénétique, en partie parce qu’elle surligne les vices de structure présents dès la première partie. Aronofsky lorgne du côté de la psychose de Rosemary’s baby et du surréalisme appliqué au cinéma par Buñuel ou Lynch, mais il puise au moins autant dans des recettes et des commodités de mauvaise série B d’horreur : sursauts faciles, personnages jetables, fausses pistes multipliées jusqu’à transformer le récit en gruyère, pirouette finale qui raccorde la conclusion au point de départ – chose que l’on sent venir d’assez loin, ce qui a pour effet d’éroder l’importance des protagonistes et des enjeux qui leur sont attachés.

Abusif et sciemment mal aimable, mother ! se veut une mise en abyme démontrant, par un acte égocentrique de destruction totale, que les artistes sont des ogres égocentriques dévorant tout autour d’eux, surtout l’amour qu’on leur porte

Le problème de mother !, comme de The fountain avant lui, n’est donc pas tant le parti-pris de son auteur que la manière de le porter à l’écran – dans les deux cas en nous l’imposant de force plutôt qu’en cherchant à nous convaincre. Aronofsky vise ici à nous fixer dans une relation sadomasochiste similaire à celle qu’il impose à son héroïne : il invente des supplices toujours plus humiliants puis atroces, auxquels elle et nous sommes enjoints à nous plier, sans raison véritable. Notre adhésion à ce contrat serait un dû, et non quelque chose à gagner. La construction de mother ! souffre de cette arrogance, qui pousse Aronofsky à ne pas faire tous les efforts nécessaires pour rendre son œuvre solide, et ainsi réellement irrésistible. Abusif et sciemment mal aimable, mother ! se veut une mise en abyme démontrant, par un acte égocentrique de destruction totale, que les artistes sont des ogres égocentriques dévorant tout autour d’eux, surtout l’amour qu’on leur porte. La figure que l’on voit se dessiner à l’écran est plutôt celle d’un petit garçon cassant une maison de poupée (et la poupée avec), tapant très fort sur une casserole et marchant sur la queue du chat pour qu’on lui accorde toute notre attention – alors qu’il n’a pas grand-chose à dire.

MOTHER ! (USA, 2017), un film de Darren Aronofsky, avec Jennifer Lawrence, Javier Bardem, Ed Harris, Michelle Pfeiffer. Durée : 120 minutes. Sortie en France le 13 septembre 2017.