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Entre le nouveau cauchemar américain et la partie de Call of Duty en duo, Bushwick raconte l’invasion d’un quartier de New York par une armée ultraviolente. Mais du pessimisme post-trumpien qui s’annonce désormais contractuel ne jaillit rien de vraiment novateur.
C’est peu dire qu’on prend un plaisir très modéré, aujourd’hui, à regarder au cinéma des scènes de massacre en lieux clos à l’arme automatique. Or Bushwick, qui voit des terroristes trumpistes attaquer un quartier multiethnique de Brooklyn à l’arme lourde, regorge de ce genre de passages. L’avantage, c’est que le film ayant été produit par Netflix, il se destine à des gens qui seront plus au chaud sous leur couette qu’au milieu d’une foule de spectateurs cernés d’enceintes crachant les pétarades de kalashnikov hyperréalistes. Merci Netflix.
En 2016, Nocturama de Bertrand Bonnello avait, paraît-il, été privé de Quinzaine des Réalisateurs parce qu’Edouard Waintrop, le sélectionneur, ne souhaitait pas remuer le couteau dans la plaie moins de six mois après les attentats de Paris. Cette période de latence a clairement pris fin. Entièrement filmé en plans-séquences, Bushwick vise l’immersion maximale du spectateur dans ce qui s’apparente à une attaque terroriste à l’échelle d’un quartier tout entier.
Voici donc le premier film indéniablement post-Trump : les rednecks lancent l’assaut sur les progressistes et du début à la fin, aucun coup de chance ne vient épargner le pire aux héros.
Tourné pour dix millions de dollars, Bushwick est typiquement netflixien : après Spectral (Nic Mathieu, 2016) et Sand Castle (Fernando Coimbra, 2017), il complète la trilogie martiale du jeune studio – qui laisse les productions moins guerrières, The Meyerowitz Stories et Okja, à la compétition officielle – sans que la qualité augmente sensiblement : facture correcte, avec l’imagination de ceux qui doivent composer avec un budget restreint, et fable politique très claire, brassant un sujet brûlant d’actualité. Voici donc le premier film indéniablement post-Trump : les rednecks lancent l’assaut sur les progressistes et du début à la fin, aucun coup de chance ne vient épargner le pire aux héros. New York devient la Syrie ; on dirait par moments ces articles pédagogiques cherchant à expliquer à quoi ressembleraient les villes occidentales si le même taux de destruction leur avait été appliqué qu’à Homs ou Alep.
Après 2015 et la généralisation du plan-séquence démesuré (Jupiter Ascending, San Andreas, Jurassic World, Tomorrowland…), l’effet de style a désormais moins de valeur, et Murnion & Milott s’en gavent, ne coupant qu’une fois toutes les dix minutes, avec une virtuosité paresseuse qui cache mal ses coutures – on commence à connaître le coup du passage de cloison, de l’obscurité subite, ou du plan sur le ciel. La caméra semble se contenter de suivre les acteurs et de filmer les cascadeurs répondant à leur signal, sans qu’aucune impression de danger accru ne s’en dégage. Dans Les Fils de l’Homme, modèle revendiqué, le plan-séquence est l’occasion de faire violence au spectateur, de le sortir de son confort en permanence ; ici c’est l’inverse.
La raison de cela, c’est que l’inspiration de ces plans-séquence est moins à chercher chez Spielberg ou Cuaron que chez Rockstar Games, ces jeux tels que GTA V dans lesquels le joueur pilote un personnage suivi par une caméra le surplombant légèrement et l’accompagnant au milieu de fusillades qui éclatent en milieu urbain – et sans coupure, du moins pas avant la mort, comme c’est le cas ici aussi. De fait, l’impression de caméra embarquée qui présidait aux plans-séquences de guerre d’Il faut sauver le Soldat Ryan, par exemple, s’estompe, ne laissant qu’un caméraman invincible et désincarné, sans grâce ni réelle précision dans ses déplacements – en dehors de celle du timing avec les artificiers, cela va sans dire.
Les réalisateurs ont beau discourir comme des Miss France et se proclamer anti-guerre, leur film montre bien qu’il valait mieux passer la journée à cautériser les plaies de Bautista qu’à aller voir Mamy avec son petit copain semi-pubère.
Mais attardons-nous un instant sur la scène d’ouverture et le problème qu’elle pose, une scène dans laquelle l’héroïne est présentée aux côtés de son petit copain, un mignon un peu chétif qui a besoin d’être embrassé pour se sentir viril, protecteur et macho. Le pauvre ne fait pas long feu (wink wink), et l’héroïne de se retrouver protégée, à l’ancienne, par un bon vieux catcheur des familles, soit Dave Bautista. Première tête d’affiche pour celui que Les Gardiens de la Galaxie a rendu célèbre, il se révèle à des kilomètres de cet autre catcheur reconverti qu’est Dwayne Johnson, essayant simplement de réciter son texte en changeant le ton de sa voix d’un mot à un autre. Le présupposé embarrassant de cette scène d’ouverture, c’est que la jeune fille s’avère mieux accompagnée après l’assaut, elle qui rêvait de virilité, qu’avant. Ok, la romance n’a pas le temps d’éclater, et Bautista est trop occupé à jouer le Marine traumatisé pour envisager tirer profit de son avantage biceps pendant une séquence au Lavomatic, mais la vie apparaît finalement plus grisante et plus excitante une fois que la guerre éclate – à l’instar de Wanted, ce film de Timur Bekmambetov où James McAvoy était un loser découvrant sa vraie valeur une fois métamorphosé en tueur en série.
Les réalisateurs ont beau discourir comme des Miss France et se proclamer anti-guerre, leur film montre bien qu’il valait mieux passer la journée à cautériser les plaies de Bautista qu’à aller voir Mamy avec son petit copain semi-pubère. Prenez La Chute du Faucon Noir de Ridley Scott : les soldats ont clairement l’air de préférer leur vie en dehors des combats. Dans un film anti-guerre, c’est quand même un minimum.
BUSHWICK (Etats-Unis, 2017), un film de Jonathan Millot et Cary Murnion. Avec Angelic Zambrana, Dave Bautista, Brittany Snow… Durée : 1h33. Sortie en France indéterminée.