UN BEAU SOLEIL INTERIEUR : fragments d’un discours pessimiste

Pas tout à fait une « comédie », le nouveau Claire Denis s’attarde sur la vie sentimentale désastreuse de son héroïne, une quinqua fringante mais plus pour longtemps. Le résultat est sciemment plombant, mais sa propension à sombrer dans la banalité est-elle également volontaire ?

Y a-t-il plus néfaste pour un film qu’un effet d’annonce un peu mensonger ou en tout cas trop réducteur ? Lorsqu’on a découvert au cœur du même communiqué les mots « Claire Denis » et « comédie », on s’est sans doute emballé un peu trop vite en imaginant que la cinéaste de Beau travail et Trouble Every Day allait nous offrir une pantalonnade susceptible de faire marrer des millions de Français. De fait, le contraste entre ce que promettait la rumeur (et le discours du sélectionneur Edouard Waintrop) et la réalité jette salement un froid. Car Denis a choisi Christine Angot pour adapter avec elle les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes (du moins supposait-on, puisque la cinéaste a démenti en se présentant sur la scène de la Quinzaine des Réalisateurs). Pas exactement de quoi se taper sur les cuisses.

Cette façon de nous donner des coups de coude l’air de rien, pour nous faire comprendre que nous allons tous mourir malheureux parce que nous le méritons, finit par devenir franchement déplaisante.

Ce serait évidemment réduire la comédie à sa définition la plus rabougrie : celle d’un genre simplement destiné à divertir et à faire rire. S’il y a bien quelles saillies drolatiques chez les personnages écrits par Denis et Angot (notamment chez le banquier interprété par Xavier Beauvois, délicieusement imbuvable), Un beau soleil intérieur donne avant tout envie de pousser des râles de désespoir. Intention tout à fait assumée par le film, qui consiste en la description de l’absolu échec de la vie sentimentale d’Isabelle, artiste jouée par Juliette Binoche. Le scénario la place face à une brochette d’hommes avec lesquels, d’histoires longues et pénibles en ersatz de romance aussitôt nés aussitôt morts, elle ne cessera de foncer dans le mur.

Brochette, c’est le mot. Le film ressemble à une juxtaposition de saynettes sans vie, censées refléter la vacuité de l’existence d’Isabelle, condamnée à finir seule et désespérée. Il y a quelque chose de totalement gratuit dans cette misanthropie galopante qui touche absolument tous les personnages, lesquels semblent composer un bien triste jeu des sept familles. Il y a notamment les salauds, ceux qui sont morts à l’intérieur, et ceux qui brassent de l’air. Une mécanique bien vaine qui présente quelques accointances avec la trilogie en C de Jeanne Labrune (Ça ira mieux demain, Cause toujours et C’est le bouquet). Cette façon de nous donner des coups de coude l’air de rien, pour nous faire comprendre que nous allons tous mourir malheureux parce que nous le méritons, finit par devenir franchement déplaisante.

Il aurait fallu plus de conviction, ou peut-être un peu de mise en scène, pour parvenir à ce que ce traité sur la banalité et la déprime ordinaire ne finisse pas contaminé en son cœur par ses bien mornes thématiques

On imagine pourtant à quoi aurait pu ressembler Un beau soleil intérieur si Denis et Angot avaient su contenir leurs pulsions dépressives. Le film contient çà et là quelques bribes assez jubilatoires (des bribes, tiens, comme dans l’essai de Barthes, dont le film n’est pas censé être l’adaptation). Il faut sauver cette vision désenchantée du rapport sexuel, de ses compromissions et de son ridicule, qui tient en deux scènes assez délicieuses (l’une avec Xavier Beauvois, l’autre avec Laurent Grévill). Sans l’explorer tout à fait, le film pose également une question intéressante, liée à la notion (erronée) de friendzone : pourquoi Isabelle est-elle davantage attirée par des salauds condescendants (dont Beauvois est l’archétype) que par le gentil voisin discret (Philippe Katerine, trop mignon) qui lui fait la cour sans insistance ?

Et puis on réalise. À peu de choses près, les pans les plus intéressants du film se situent dans son premier quart d’heure… et dans le dernier. D’abord une concentration de promesses jamais tenues, ensuite une conclusion absurde et non-sensique, avec le monologue volontairement décousu et interminable du voyant joué par Gérard Depardieu. Entre les deux ? Rien de palpable ni de mémorable. Quelques spectres. Un enchaînement de rencontres vouées à l’échec, une poignée d’ échanges dépassionnés. Le tout résulte peut-être d’une simple envie de coller à la réalité en décrivant la morne platitude du quotidien de cette femme entre deux âges. Il aurait fallu plus de conviction, ou peut-être un peu de mise en scène, pour parvenir à ce que ce traité sur la banalité et la déprime ordinaire ne finisse pas contaminé en son cœur par ses bien mornes thématiques. « The bottom of my heart il est un peu sombre », affirmait Claire Denis lors de son discours de présidente du jury de Deauville Asie 2015. Aller vers un peu de clarté n’aurait sans doute fait de mal à personne.

UN BEAU SOLEIL INTERIEUR (France, 2017), un film de Claire Denis, avec Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Philippe Katerine, Nicolas Duvauchelle… Durée : 94 minutes. Sortie en France le 27 septembre 2017.