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Lors de la saison 2012-2013 du championnat, le recrutement de deux joueurs tchétchènes a permis à la frange extrémiste des supporters du Beitar Jérusalem, qui s’autoproclament « club le plus raciste » du football israélien, de passer des paroles aux actes en manquant de faire sombrer le club. Et ce n’est pas le pire – le pire, c’est qu’ils ont gagné sur toute la ligne au bout du compte.
Le football est le sport le plus universellement pratiqué, suivi, adopté, car il est spécial. Il contient tout à la fois ce que nous pouvons accomplir de plus beau (un geste technique parfait, la communion de milliers de personnes, une belle histoire de petit renversant un grand…) et de plus laid – des mauvais coups, des tricheries éhontées, des injustices recherchées ou bien involontaires, car étant le fruit d’erreurs humaines. Le football condense et amplifie ce que nous sommes, telle une lunette grossissante. Ce pouvoir se retourne contre ce sport, car il fait de lui une cible rêvée pour quiconque cherche un moyen de décupler l’impact de ses idées, ou la taille de son ego. Le football n’est alors plus une fin, mais un moyen : au mieux un levier, au pire une arme.
Les deux films sont très éloignés pour de multiples raisons mais leur unité de lieu (un stade) rapproche Forever pure de Un jour dans la vie de Billy Lynn. Dans les deux cas, le/la cinéaste montre avec beaucoup d’acuité et de détails comment chaque individualité ou groupe pénétrant l’enceinte sportive projette sur ce qui est au cœur de celle-ci (respectivement les joueurs du Beitar, et les soldats invités au match de football américain) ses propres obsessions et ambitions. Qui semblent invariablement, où que l’on soit sur Terre, devoir se réduire à un axe : le besoin de se sentir supérieur à autrui, que ce soit par la haine, l’argent ou le pouvoir. Une des grandes qualités de Forever pure est de ne pas s’en tenir aux exactions racistes et destructrices des ultras du Beitar. La réalisatrice Maya Zinshtein sait tout aussi bien tourner son regard vers le propriétaire du club, Arcadi Gaydamak (défavorablement connu des services de police en France pour avoir participé à l’affaire « Angolagate » de trafic d’armes), qui a allumé la mèche en recrutant sans prévenir personne deux joueurs de Tchétchénie dans l’unique but de favoriser son business dans ce pays, en brossant dans le sens du poil son dictateur ; et à l’autre bout du baril de poudre, vers les politiciens israéliens les plus haut placés (le premier ministre Netanyahou, le président Rivlin, le ministre d’extrême-droite Liberman) qui s’affichent supporters du Beitar à de pures fins électorales, le club étant de très loin le plus suivi du pays. Et qui, coincés dans leurs calculs cyniques qui leur font craindre de se mettre à dos la part la plus bruyante de ces fans, n’ont jamais voulu agir concrètement contre les dérives du kop raciste du Beitar, « La Familia ».
La malfaisance et le pouvoir de nuisance des membres de La Familia n’a d’égal que leur crétinerie – ce qui rend le film de Zinshtein encore plus désespérant. C’est une bêtise à double détente : confondre musulmans (les deux joueurs tchétchènes) et arabes ; et afficher publiquement, par des banderoles telles que celle qui donne son titre au film, son refus de recrues arabes dans un club d’un pays ayant été du mauvais côté de cette exigence de « pureté » raciale il y a moins d’un siècle. Un joueur argentin du Beitar fait remarquer ce qui devrait être une évidence : comment des Juifs peuvent-ils réclamer une telle chose ? Et le pire – car il y a toujours dans Forever pure quelque chose de pire que ce que l’on a déjà vu qui nous attend au détour de la scène suivante – est qu’ils ne se contentent pas de le réclamer ; ils s’énervent quand on ne le leur donne pas. Au point de quitter les tribunes quand une des recrues marque, de ne plus venir ensuite au stade (alors que le Beitar réalisait sa meilleure saison depuis des années), de brûler le local à trophées du club, de venir menacer le directeur sous ses fenêtres et d’invectiver le capitaine de l’équipe, leur idole il y a de cela quelques semaines à peine. Pour idéaliser quelqu’un, il arrive que l’on dise de lui qu’il a préféré mourir avec ses idées ; La Familia a choisi d’amener au bord du gouffre d’autres qu’eux, un club et tous ceux qui le faisaient fonctionner, plutôt que de transiger sur leurs obsessions rances et dangereuses.
Pour poursuivre l’opposition, ceux qui meurent symboliquement avec leurs idées gagnent rarement (voire jamais), quand la haine et la violence prêchées par La Familia ont été couronnées de succès. Tout le monde a quitté le Beitar sauf eux, et les nouveaux venus ont embrassé leurs idées comme on vient baiser la bague d’un roi pour lui prêter allégeance (ivre de son pouvoir, La Familia multiplie désormais les menaces de mort à l’encontre de la réalisatrice depuis la première à Jérusalem). Le film de Maya Zinshtein donne à voir tout cela, et donne envie de vomir sans jamais hausser le ton ou grossir le trait. Il a de plus une portée universelle, car le cas du Beitar n’est pas isolé mais simplement extrême. Les abus rattachés au football malgré lui, et exposés dans Forever pure, existent partout : cris de singes lancés aux footballeurs noirs dans les stades partout en Europe (y compris en France), hommes politiques ou d’affaires qui lient leur destin à celui d’un club pour espérer manipuler les foules, guerres civiles qui germent dans les tribunes avant de se propager dans les rues. Les scènes de tension que Zinshtein enregistre autour d’un match entre le Beitar et le club de Sakhnin (une ville arabe d’Israël), avec des chants d’insultes sonnant comme des chants de guerre, rappellent ainsi ce que l’on voyait au début des années 90 dans la Yougoslavie sur le point d’éclater. Miroir grossissant de l’humanité, le football n’en finit pas de nous renvoyer un reflet sinistre et accablant.
FOREVER PURE (Israël, 2016), un film de Maya Zinshtein. Durée : 85 minutes. Sortie en France indéterminée.