Festival 2 Valenciennes : sortir de la brume de l’alcool et de l’obscurantisme grâce à BHL

C’est notre deuxième jour dans les Hauts-de-France et on attaque au pied levé la suite de la compétition. On a le cœur vaillant après une bonne nuit de sommeil dans ce charmant hôtel, aidé en cela par la présence rassurante d’une Bible et quelques apaisants morceaux de moquettes collés au mur. Pas traumatisé pour un sou par cette aberration esthétique, nous partons en courant jusqu’à l’une des calèches qui nous mènent chaque jour avec diligence et gentillesse dans les salles obscures… (Vous pouvez retrouver le début de mes aventures au Jour 1)

 

Jour 2

On sent bien que consigne a été donnée aux voituriers d’assurer un peu la promo de cette belle ville de Valenciennes – jusqu’à nous faire visiter la bibliothèque municipale XVIIIe et ses incunables -, mais quand l’un d’eux tient à nous signaler l’emplacement de la salle polyvalente Pierre Richard, on se dit qu’il doit faire un peu de zèle. Toujours pas diverti par les ors et le luxe de la bourgade, je reste focus sur ma mission et recrute parmi les membres du jury une petite équipe d’espions chargés d’épier les moindres faits et gestes du Guide Suprême, Bernard, afin d’assurer la propagande.

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On n’a même pas le temps de comploter en sirotant notre petite Jenlain de 10 heures que déjà le devoir nous appelle. On repasse à côté de la BMW et on s’enfonce dans le saint des saints en évitant soigneusement notre BHL national qui ne voit pas bien où il marche avec son téléphone incroyablement greffé à la fois sur son front et son oreille. Le rideau s’ouvre, L’Opéra de Jean-Stéphane Bron (Prix de la Critique amplement mérité) commence.

On assiste médusé à l’une des plus éclatantes démonstration de grâce et de puissance mêlées, comme si l’opéra lui-même commandait à la mise en scène (renvoyant d’ailleurs le Black Swan d’Aronofsky dans les limbes de la laideur.) C’est là tout le génie d’une entreprise qui, voulant saisir les contours et l’essence de l’écrasante institution, en épouse les mouvements, le lyrisme, la rondeur, l’exubérance contenue, l’incroyable beauté, les tréfonds de l’âme, les palpitations, la musique (oui, la musique.) C’est bien un Opéra qu’on regarde. Ça commence pourtant par une discussion à bâtons rompus sur quelque chose de tout à fait périphérique en apparence : la communication. Le directeur et ses assistants envoient du wording et du « segmentant » comme les cocaïnomanes spécialistes de brainstorming chez Danone. Mais Stéphane Lissner, seul roi en son Palais, coupe son monde et tranche la question : on en dira le moins possible sur le budget qui ne cesse de s’étioler et sur les coupes à faire dans le personnel. On ne sait pas encore s’il s’agit du tyrannique Créon ou du sage Salomon mais le personnage est là, beau dans sa posture déterminée autant que par le doute qui le ronge. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ou le couper en deux ? Offrir une sépulture à Polynice ? Tout le film est à l’avenant, faisant sans cesse des allers-retours entre ce qui se joue sur scène et ce qui se trame en coulisses, sans jamais appuyer lourdement sur l’évident jeu de miroir. Les corps se croisent, s’affrontent, se tapissent, s’admirent, celui des chœurs et des ballets, celui de celles qui époussètent. On pense à Wiseman et aux Enfants du Paradis : scrutateurs devant le fleuve qui s’écoule, admiratifs devant le chœur qui bat et les organes vibrants qui l’irriguent, on pleure aussi devant tous ces petits artisans de la grande affaire qui nous concerne : la belle vie, au théâtre et dans la cité.

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C’est l’autre aspect merveilleux de cette longue marche : montrer l’Opéra autrement que comme la cathédrale isolée dans ses ors et son velours. Comment faire pour permettre à tous d’accéder à la joie et la beauté tout en satisfaisant au faste du lieu ? Le réel vient souvent faire des incursions dans cette forteresse qu’on ne quitte pourtant jamais, aux détours d’attentats ou de manifestations sociales : jamais personne n’y est sourd et l’écho s’y propage comme une onde entêtante. Prenant la pose, observant avec une précision chirurgicale ses personnages ou se déployant dans des plans-séquences opératiques, chauds, embusqués, grandiloquents, pudiques, on est bercé et fasciné, et pour finir, en larmes. Disposant avec Alain Souchon que la vie, c’est du théâtre et des souvenirs, on se dit que tout est dans tout et voilà notre petit père des peuples qui vient prouver cette évidence : pendant qu’à l’écran, une assistante instagrame la danseuse étoile qui salue son public, BHL illumine notre obscurantisme de son aura : il pianote un hashtag #BHL du plus bel effet sur Twitter. C’est très inconfortable pour les yeux, mais rappelez-vous du mythe de la Caverne : BHL, c’est le soleil et nous autres pauvres erres enfin détournés de l’obscurité.

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On quitte Bernard, son iPhone, et on va se boire quelques pintes pour oublier, en tâchant de garder quelques bribes des oratorios qu’on a encore dans le tête et qui nous collent encore au coeur et encore.
La 8e pinte finie que déjà le festival reprend. Et pas de n’importe quelle manière. Conscients du vieillissement de la population des cinéphiles à Valenciennes, les organisateurs, pas bêtes, ont fait appel à la scénariste des Feux de l’Amour pour son premier documentaire (à Cannes aussi, où les abonnés à Notre Temps sont légion). On ne va pas se mentir, ce portrait de Billy Hayes, l’homme derrière l’histoire de Midnight Express, a au moins autant de singularité et d’élégance que le pénis de Victor Newman après ses quinze vasectomies. Sally Sussman, c’est son nom et ça n’a rien à voir avec Victor, sait évoquer l’ambiguïté du hâbleur à l’origine de l’interminable antipathie entre Turcs et Américains et la responsabilité de l’Administration Reagan dans cette dernière, mais pour le reste c’est l’inénarrable doc rempli d’experts et de proches racontant le film, qui dans son fauteuil club, qui près de son barbecue, tout ça monté comme le mariage de Nicki et Deacon sous acide. C’est effroyablement laid, monté à la truelle et ripoliné au mascara.
Du coup, on passe de la bière aux Trois Charrettes en attendant la next session et on entonne ce qu’on espère être la Traviata.
A demain pour de nouvelles aventures far far away, en Mongolie et à dos d’aigle s’il vous plaît.

(La suite au Jour 3)

La septième édition du Festival 2 Valenciennes se déroule du 13 au 19 mars 2017, au Gaumont Valenciennes.