Festival 2 Valenciennes : the story
Cet article est un compte-rendu du Festival 2 Valenciennes en trois parties, à suivre comme un feuilleton, day after day.
Jour 1
A moins de deux heures de Paris, c’est déjà le printemps. J’entre dans la chambre 110 plein du fol espoir de découvrir le successeur de Depardon et de l’impatience du tonneau de vannes que je vais déverser sur BHL, président du jury, mais je suis tout de suite ramené à la raison par une Bible posée sur la table de chevet. Là, je repense à Srebrenica et Bruno Dumont et j’ai déjà beaucoup moins envie de faire le mariolle (anagramme presque parfaite de Maroilles, tiens). Dans la rue, des livreurs de bière rejouent sans le savoir P’tit Quinquin ou une comédie avec Kad Merad, du coup ça va déjà beaucoup mieux. La table, c’est un mélaminé teinté d’orange imitation bois, je pends mes chemises dans le placard à côté, prêt à accomplir mon dur labeur.
Il n’y a qu’un seul cinéma dans l’Athènes du Nord et c’est un multiplex. Loin du cœur et surtout, des yeux. En périphérie de l’A2, il se détache, aussi majestueux que peut l’être le temple rougeoyant cocardé de pétales, au frontispice duquel s’inscrit en lettres d’or le nom de la célèbre compagnie Gaumont. Ça éclaire de vermillon un cimetière d’échoppes dans une demi-nuit de néon, celui des zones commerciales. Quand les lampadaires s’éteignent, on y achète des chaussures bon marché.
Dans l’immense hall recouvert de moquette, une BMW flambant noire repose comme Athéna au Parthénon et derrière elle un stand de bornes d’arcade ; à ses côtés, de biais, pour ne pas lui faire d’ombre, un tapis de velours synthétique bordé d’une haie de jeunes éphèbes endimanchés et de plantes vertes. On les voit, ces jeunes lycéens un peu gauches mais touchants, affecter l’obséquiosité pour l’occasion : « Bonjour Mon Sieur », « Bonjour Ma Dame ». Qui a dit que le cinéma était un temple ? On choisit, alors, de passer du côté de la voiture : les haies d’honneur, ça nous rappelle l’E.S Chassieu, du temps où le rugby de l’Est lyonnais était en division d’honneur.
Et déjà, les présentations.
Nathalie Corré, pimpante (ou sous ecstas), égraine les patronymes. Il y a les différents jurys avec, à la tête de la sélection documentaire, Bernard-Henri Levy, laissez-moi l’appeler Bernard : pas ermite pour un sou, princier dans son costume de clown chic, interminablement grand et filiforme, marcheur de Giacometti sur lequel se serait déposé, comme une plume interdite, un déguisement bien trop ample. Son portrait en 8 par 2 trône derrière lui comme la statue de Lénine surplombait l’homme d’Etat : après tout, n’est-il pas lui aussi le petit père des peuples ? Mais fi du protocole, c’est déjà le premier film.
De travestissement, il n’a pas été question. Mais de transformation, oui.
Finding Phong nous promène vers le flou, celui du genre et ses inclinaisons. Phong, c’est le nom du protagoniste, ne s’est pas encore trouvée. C’est une femme emprisonnée dans un corps d’homme. A l’origine, pas de projet de cinéma, seulement deux productrices qui, par la grâce de qui voudra, se lamentaient de voir leur amie pleurer tous les jours que Dieu fait d’être un garçon. Alors, elles lui ont glissé à l’oreille que se filmer pouvait aussi être l’occasion de se trouver, faire le fameux coming out. Et c’est vrai. Mais qui se trouve ? Personne. De fait, c’est quand même une question qui concerne le septième art : qu’est-ce que le cinéma et qu’est-ce que le réel et donc, qu’est-ce que l’être ? Voilà la question que se pose le film, malgré lui. Ça commence par un gros plan flou sur la bouche de Phong qui s’enregistre maladroitement et déjà, on sait qu’il sera question d’interroger en direction de l’être : quelles limites, quelle ambiguïté recouvre l’être, comment faire le point ? Voilà la question que se pose l’homme attentif : qu’en est-il de l’être ? Un sexe ? Un corps, borné par les limites de sa structure ? Un corps politique ? Un corps désirant ? Alors, le beau plan suivant dans le jardin, le jour de l’an, avec feu d’artifice annuel et ombres chinoises, laisse apparaître les pointes rouillées d’un grillage, métaphore d’une identité corsetée dans la chrysalide. C’est décidé : être, c’est persévérer dans son être, en dépit du corps. Alors, on va la faire, cette opération. L’être est désirant, malgré le corps. Il y a la pudeur et l’impudeur de Guibert : celle d’évoquer la mort comme possibilité (c’est-à-dire que le corps n’est qu’une enveloppe de l’être) et l’impudeur, la forme du « vlog », exercice narcissique imposé. Car ce qui est désirable, c’est la façon du corps et non le corps lui-même. Il y a aussi la pudeur de ne pas vouloir faire de mal à la mère et donc, au monde, au vieux monde. Être, c’est être redevable au monde. Pour sa génitrice, Phong peut bien faire ce qu’elle veut, dès lors qu’elle respecte la bienséance. Être une femme, passe encore, mais une femme de bonne vertu. Il faudrait juste qu’elle essaie d’arrêter de plaire à tout crin, de montrer ses belles cuisses charnues sous la jupe d’emprunt. Dans l’ancien monde, la femme qui se respecte est vertueuse. Du côté du père, c’est différent, l’être est politique : homme ou femme, peu importe, l’être est digne et donc, sa fille existe en tant que femme tant qu’elle soutient la Révolution.
Comme une métaphore grossière, mais éclairante, Phong est marionnettiste, ou plutôt restauratrice de marionnettes. Est-ce à dire que l’être existe indépendamment de ceux qui le meuvent, l’émeuvent, ou existe-il pour lui-même ? Est-ce qu’une marionnette cesse d’être une marionnette lorsque les fils sont coupés ? A côté, partout, les proches encerclent Phong et voudraient bien agiter ses fils à sa place. Oui, ils la comprennent, mais à part, ils lui en veulent. L’être n’est-il que la somme des êtres autour ? Une belle chatte rutilante à la place du pénis et il semble bien que non : l’être est en puissance et non en acte ; on pourra toujours ajouter des fils et des normes à l’être, la vie s’en moque. Pierre Bachelet, ses Corons, ne nous contrediront pas. Et Phong ne pleure plus. Alors, on s’en réjouit.
Et puis on regrette. Les réalisateurs, eux-mêmes téléguidés par une ONG, orchestrent tout, mécaniquement. Ça sent l’exercice imposé et promotionnel, académique. Alors on est encore en face d’un être hybride : de qui est le film ? On ne le sait pas vraiment et c’est problématique. Mais comme pour Phong, ça n’est pas forcément définitif : il y a la vie et la beauté qu’on veut y voir derrière. On décide quand même qu’avec ces beaux rushes on aurait pu faire un beau film, alors on dit non pour le cinéma et oui pour la bonne cause.
Et on le redit aussi A voix haute, deuxième film de la compétition, déjà diffusé à la télévision dans l’émission Infra Rouge : encore un exercice délicat de promotion, de la diversité cette fois. Ce concours d’élocution ouvert à tous est grisant, ne nous voilons pas la face. Oui, il permet en outre aux « minorités » de reprendre une partie du pouvoir par la parole (le démiurge n’est-il pas aussi le Verbe ?) Dans le 9-3 en tout cas, comme se plaît à le dire un des formateur, avocat à la ville : « Je suis Charlie » comme « Je suis Saint-Denis » : c’est beau, c’est la liberté d’expression et les lauréats iront pérorer sous les ors du palais, sous l’œil bienveillant de magistrats parés de la toge officielle. Mais qu’en est-il des voix de fausset, des muets, des hésitants, des bègues, des mal à l’aise, des types qui préfèrent l’offense plutôt que l’épanchement ? On ne les voit pas, ils n’existent que sur TF1, très tard et très mal. On assiste à un PopStar, où les gens seraient, quel que soit le résultat, tous des winners. Alors oui, ceux qui étaient invisibilisés sont maintenant visibles, mais ne l’auraient-ils pas été sans ce télé-crochet ? Certes, la petite entreprise bienveillante permet de défaire le nœud d’une esthétique dévoyée tous les jours par le petit écran, et après tout, ça n’est déjà pas si mal. Mais tout ceci ne reconduit-il pas cette échelle de domination décrié par le réalisateur ? Pour le reste, on assiste, pris par la main, à un long clip bien rythmé, efficace, qu’on dirait emprunté à l’agence pub de Microsoft. Microsoft, soft power. Certains d’entre eux ont du talent, c’est certain, mais tout ceci est bien scolaire.
Si on n’a pas vu beaucoup de cinéma, on repart quand même le sourire aux lèvres pour tous ces jeunes gens qui se réalisent dans l’adversité, contre les dogmes qu’on voudrait leur imposer. Et puis il faut quand même reconnaître que tout le staff est aux petits oignons, la bouffe majestueuse, et le Valenciennois prompt à offrir une bonne Duvel sortie du coffre de sa calèche. Elsa, membre du jury, nous chante « t’en va pas ». Ok, on reste.
Demain nous irons à l’Opéra pendant que BHL réajuste son brushing et sa timeline avant de nous rendre dans les geôles turques de Midnight Express. Chouette programme.
( Vous pouvez vous rendre au Jour 2 ou au Jour 3)
La septième édition du Festival 2 Valenciennes se déroule du 13 au 19 mars 2017, au Gaumont Valenciennes.