DESTRUCTION BABIES : tu tapes, tapes, tapes, c’est ta raison d’aimer
Le jeune Taira s’attaque de manière apparemment arbitraire aux hommes qu’ils croisent et se bat avec eux, jusqu’au sang : la violence pour la violence, filmée par un cinéaste qui a la bonne idée de tenir son programme jusqu’au bout et de préférer l’abstrait à l’explicatif.
En jeu vidéo, on appelle ça un beat them all. « Cognez les tous » : avancez, frappez, avancez, frappez, avancez, frappez. Ce principe, c’est celui de Destruction Babies, mais rien à voir avec un film de baston moyen. Pas de spectaculaire, aucun effet sonore artificiel, du réalisme à tous les niveaux : un poing s’écrasant contre une joue fait bien le bruit d’un poing contre une joue (qui n’est pas le même que le bruit d’un coup de pied dans les côtes) ; les pugilats ne sont pas chorégraphiés et se révèlent aussi grotesques qu’effroyables, odieux ou drôles, etc. Tetsuya Mariko se réclame du Takeshi Kitano des premiers temps, à raison, mais lui va encore plus à l’os que son illustre modèle. La violence de Destruction Babies est totalement pure, surréaliste au sens où l’entendaient les premiers tenants du mouvement, ceux qui estimaient que le geste le plus surréaliste était de tirer au hasard dans la rue. Le jeune Taira exerce sa brutalité sur autrui sans raison, sans motivation autre que celle de se battre pour se battre. Et quand il finit par assommer l’adversaire choisi arbitrairement (avec une règle qu’on devine : s’attaquer à plus fort ou aussi fort que lui), il repart en quête d’un autre. Le pouvoir de fascination de Destruction Babies tient à la routine de ce personnage, que le film fait sienne, prenant parfois des airs de Funny Games, testant les limites du spectateur et, pire, agissant comme un vaccin. D’abord des bagarres contre un groupe, puis un homme seul, puis un homme seul déjà bien amoché, puis contre une femme, puis une femme à terre : au point qu’à la dernière dose injectée, une sorte d’insensibilité rétrospective s’est développée, insidieusement, comme si, à la fin, on finissait par trouver acceptable la violence montrée au début.
Tetsuya Mariko n’est donc pas du côté du sociologue, mais du poète, du Gus Van Sant d’Elephant, celui qui considère que montrer le geste peut suffire (pourvu qu’on trouve la manière)
Tetsuya Mariko n’est pas du côté de son protagoniste. Il n’est du côté de personne en réalité, et il n’a pas besoin de choisir de camp parce que la simplicité de son programme scénaristique prône l’abstraction. Destruction Babies suit un dérèglement ponctuel, sans l’expliquer, ni le justifier, s’en tient à sa description, ce qui nous autorise à projeter dessus tout ce que nous voulons bien y projeter. La violence, c’est la faute des jeux vidéo, des réseaux sociaux, des jeunes, des parents absents, etc. Toutes ces raisons éventuelles font partie du paysage du film mais elles n’en constituent pas l’horizon. Tetsuya Mariko n’est donc pas du côté du sociologue non plus, mais du poète, du Gus Van Sant d’Elephant, celui qui considère que montrer le geste peut suffire (pourvu qu’on trouve la manière), qu’il est superflu de le commenter (la seule leçon claire à tirer, c’est que la violence fait encore plus de dégâts entre les mains des pleutres ; voir ce moment où un lycéen se sert de Taira comme d’un Danny the Dog).
On craint un temps que Destruction Babies ne soit qu’une énième parabole sur la puissance virale de la brutalité, un film d’enragés où le mal se transmet de proche et proche, mettant ainsi tous les humains dans le même sac, faisant de la violence une maladie qu’il serait donc possible d’endiguer pourvu qu’on isole le foyer infectieux. Heureusement, cette piste de lecture ne mène nulle part. Tetsuya Mariko préfère mettre en parallèle du parcours de son héros un rassemblement traditionnel, une cérémonie annuelle où les hommes de la ville forment des groupes destinés à exercer une violence symbolique les uns contre les autres. La rage destructrice se contrôle dans le spectacle, le spectacle de la violence est le remède à la violence. En regardant pendant 90 minutes au cinéma un mec distribuer des pains, on a donc fait acte de paix, pas de voyeur ni de jouisseur. Un poète ce Tetsuya Mariko.
DESTRUCTION BABIES (Disutorakushon beibïzu, Japon, 2016), un film de Tetsuya Mariko, avec Sosuke Ikematsu, Takumi Kitamura, Nana Komatsu, Masaki Miura, Nijiro Murakami. Durée : 108 minutes. Sortie en France indéterminée.