OLD STONE, un polar social qui ne jette pas la pierre

La descente aux enfers d’un chauffeur de taxi qui aurait péché par excès d’humanité. Telle est la trajectoire morale complexe que dessine presque parfaitement Old Stone. Presque car Johnny Ma, son réalisateur, ferme son premier long métrage avec une image par trop cynique.

A l’origine de Old Stone, il y a ce fait divers glaçant : après avoir renversé un piéton, un automobiliste lui passe dessus une deuxième fois pour l’achever. Pourquoi une telle monstruosité ? Les soins causés par le choc l’auraient tout simplement saigné à blanc. En quoi sa vie, qui se serait alors résumé à réparer un acte qu’il n’a pas commis de manière préméditée, aurait-elle moins de valeur que celle d’un malchanceux qui passait par là ? « Salauds de pauvres »… Le premier long métrage de Johnny Ma est une tentative de comprendre ce geste et une sorte de récit à rebours du fait divers, qui aurait pour postulat la logique du pire que le chauffard aurait anticipé et a voulu éviter à tout prix.

Cette logique du pire, Old Stone l’applique avec une grande efficacité. Cela revient pour Ma à prendre le parti inverse de la réalité : et si l’automobiliste avait été une bonne âme ? Et s’il avait remué ciel et terre pour sauver la vie de sa victime ? C’est ce que Lao Shi, chauffeur de taxi, fera et pour son plus grand malheur. Tout d’abord parce que le sauvetage se fait au détriment de la procédure qui consiste à attendre l’arrivée de la police. Sans son rapport, l’employeur ne saurait prendre en charge les soins du piéton, plongé dans le coma pour un temps indéterminé.  Pour couronner le tout, Lao Shi est indirectement responsable de l’accident. La faute à un passager saoul qui lui a fait faire une fausse manoeuvre et qui, lorsqu’il retrouve sa trace, refuse de répondre de ses actes. Les salauds dorment en paix.

Si le héros avait respecté la procédure, sa victime n’aurait pas survécu. Dans Old Stone, l’assurance d’être humain (ou de le rester) se paie au prix fort, au point qu’on y sacrifie sa vie de couple et de famille. Il faut voir cette scène bouleversante où l’épouse de Lao Shi – une assistance maternelle qui elle aussi, à sa manière, oeuvre pour le bien d’autrui – se met à genoux et supplie un avocat de leur venir en aide ; ce notable n’a que des problèmes de riche (priorité à son smartphone qui n’arrête pas de sonner et lui apporte des clients à ne plus savoir quoi en faire).

Comme People Mountain, People Sea de Cai Shangjun, immense film chinois auquel on pense parfois et qui dépeint un pays où la vie et l’homme valent moins que rien, Old Stone est le récit d’une descente aux enfers. Ici, le « côté obscur » de la Chine trouve une belle expression plastique dans les dernières minutes. Une lutte à mort loin du tumulte de la ville, dans une nuit de boue et de lumière rouge sang. S’éclaircit alors, pour le spectateur, le mystère de ces superbes plans de forêt qui scandent le film. On regrette seulement cette image finale, sorte de volte-face narquoise et cynique qui ferme la porte à l’ambiguïté morale pour lui préférer une lecture univoque et, pour le coup, plus pauvre.  Se refusant de jeter la pierre au monstre du fait divers, Johnny Ma s’apprête à donner le coup de grâce à l’homme de fiction, qui aura péché par excès d’humanité.

OLD STONE (Chine, 2016), un film de Johnny Ma. Avec Gang Chen, Xue’er Luo, An Nai, Hongwei Wang, Zebin Zhang. Durée : 80 minutes. Sortie en France indéterminée.