TU NE TUERAS POINT : Gibson Oz tout !

Retour de Mel Gibson, toujours jusqu’au-boutiste : une première partie enjouée et ampoulée juste ce qu’il faut, puis une seconde bien sanglante et plus poussive, seulement convaincante quand elle interroge directement le spectateur : tu n’y croiras pas ?

 

Teresa Palmer et Andrew Garfield dans TU NE TUERAS POINTL’emballante première heure de Tu ne tueras point dresse le portrait délibérément naïf et enjoué d’un futur soldat, Desmond Doss (Andrew Garfield). Son éveil spirituel, la naissance d’un sentiment amoureux, le tout capté en plans amples et généreux, outrés mais aimables, à l’image exacte du héros et de son interprète, adorable Garfield godiche et souriant. Le «cut» est moins brutal mais, comme dans Voyage au bout de l’enfer (Michael Cimino, 1978), la guerre happe ensuite violemment personnages et spectateurs.

Quand Doss et le reste des troupes débarquent à Okinawa, à quelques secondes de leur premier assaut, leur respecté Sergent Howell (Vince Vaughn) se met à ironiser nerveusement : «We’re not in Kansas anymore». La citation renvoie au Magicien d’Oz, dont l’adaptation de Fleming est sortie dans les salles américaines quelques jours avant le début de la Seconde Guerre mondiale, soit une façon d’exorciser l’instant, d’imaginer qu’ici aussi un démiurge maléfique ne fasse que mettre en scène ce bourbier. Tout le monde l’espère, personne n’y croit, pas même Doss alors qu’il n’est armé que de son courage ; singularité qui lui valut quelques jours plus tôt de passer devant la cour martiale pour faire entendre son droit de combattre sans fusil, soit un faux suspense quelques peu étiré qui le mènera comme convenu sur le champ de bataille.

TU NE TUERAS POINT de Mel Gibson

 

Une fois sur place, afin de retranscrire l’extrême violence des combats, Mel Gibson opte sans surprise pour l’ultra-réalisme standardisé, hérité de et popularisé par Il faut sauver le Soldat Ryan de Steven Spielberg (1998) (lui-même influencé par Braveheart ? Pourquoi pas…).
Néanmoins, si violence et brutalité à l’écran il y a, Gibson n’en exauce pas moins le vœu de Howell, qui fantasmait un simulacre tel que l’était Oz. S’alternent alors images choc et d’autres complètement improbables, tels les surgissements ennemis qui évoquent les pantins mécaniques d’un train-fantôme, ou bien des rondes à intervalles réguliers typiques d’un jeu vidéo. Déréaliser l’assaut à travers les yeux des combattants, c’est une façon de l’estimer «incroyable mais vrai», et ce faisant de renforcer le miracle qui va bientôt s’y produire.

En l’occurrence Desmond Doss, cet objecteur de conscience qui combat donc sans arme parce qu’il est chrétien adventiste, va néanmoins parvenir à sauver plusieurs dizaines de camarades à lui seul. Douze ans après La passion du Christ, Mel Gibson ne recule toujours devant rien pour nous sensibiliser à sa vision du monde. Pas même devant une seconde résurrection du Sauveur, cette fois à Okinawa : lorsque Desmond quitte la falaise où le combat fit rage, porté par ses camarades, il semble redescendre du Golgotha.


TU NE TUERAS POINT (Hacksaw Ridge, 2016), un film de Mel Gibson, avec Andrew Garfield, Vince Vaughn, Teresa Palmer. Durée : 131 minutes. Sortie en France le 9 novembre 2016.