ANIMAL POLITICO, humain politique

Animal Político est l’un de ces films abstraits comme il y en a tant, dans lesquels un réalisateur un peu dépressif trouve le moyen d’exprimer son sentiment de l’absurdité de l’existence à travers une succession de tableaux plus ou moins décousus, et où la désillusion vient de l’intrusion de l’humour dans une atmosphère sinistre. Au milieu du vide, cette fois, pourtant : une vache. Mais elle ne change pas grand chose.

Tião se disait que la vie n’avait aucun sens, puis une expression d’Aristote lui est revenue à la mémoire: l’humain est un animal politique. Le film nihiliste qui aurait de toutes façons vu le jour est ainsi devenu celui qui était projeté ce week-end en compétition au FIFIB : un long poème (pourtant de 70 minutes seulement) sur la quête du sens de la vie et l’absurdité du tout, avec, en plein milieu, une vache noire, dont le rôle est de donner un visage à la figure de style aristotélicienne.

En voyant cette jolie génisse attendre de traverser au milieu des gens de Recife, s’ennuyer en boîte de nuit, marcher dans le désert, on pourrait s’imaginer qu’il s’agit là d’un animal, que le film auquel on a affaire a pris le parti de représenter l’humain à travers un animal, et que les frontières entre les deux sont brouillées – qu’on est, en somme, sur les terres de moins en moins mystérieuses du cinéma à tendance antispéciste.

Ce serait parler un peu vite. L’animal politique reste l’humain, seulement l’humain ; on est loin du Zoopolis, de Sue Donaldson et Will Kymlicka (sorti en français cette semaine!), qui s’interroge sur les modalités d’intégration des animaux dans l’espace urbain. Ici, l’idée que l’animal puisse être un véritable sujet politique est à des années-lumière d’être prise au sérieux.

Ceci n’est donc pas une vache, mais la métaphore de l’humain qui s’imagine bétail, c’est-à-dire incapable de se projeter dans l’avenir, ne comprenant pas le monde parce qu’il est trop occupé à occuper le présent, et surtout travaillant volontairement, sans broncher, avec une sorte de passivité ruminante. Rien de grave a priori, quoiqu’on puisse s’interroger sur la présence de ce mythe du bétail consentant dans un film émanant du Brésil, premier exportateur mondial de viande bovine.

La vache selon Tião est censée avoir l’air bête, au mauvais sens du terme. Toute l’ironie du film, qui voudrait relativiser la puissance de l’humanité, de son savoir, de ses livres, de sa technologie, repose en fait sur un préjugé spéciste : ce qu’il s’agit de montrer, au fond, c’est que l’humanité est aussi stupide que les vaches. Or évidemment, le réalisateur n’y croit qu’à moitié, le film se constituant comme preuve de la particularité humaine : moi, contrairement à la vaquita, j’ai conscience de ma vacuité. « Je pensais difficile de ne penser à rien », dit la vache à son cours de yoga – et la salle de rire, forcément, à l’idée qu’une vache puisse avoir du mal à ne penser à rien, elle, avec sa rumination d’abrutie.

On imaginerait volontiers une grande mélancolie dans l’oeil de cette génisse, jamais débarrassée de son licol, placée au milieu d’une boîte de nuit, à un barbecue, un fast-food ou un réveillon de Noël, plantée là comme dans un spot de sensibilisation végétariste sur l’invisibilisation des animaux. Ce n’est jamais que de l’anthropomorphisme de base – et cette mélancolie, peut-être réelle, est recouverte sous une mélancolie artificielle, que génère systématiquement l’effet Koulechov suscité par la voix off, la bande-son et les cadrages.

Nulle surprise, dès lors, à voir cette vache de plateau, entre son propriétaire et son vétérinaire, se muer soudain en assistant à la réalisation bipède dans un costume de vache, avec masque sans paupières ni expression : c’est que la vache (attention, métaphore!) a remonté un chemin de livres déposés par terre, et abouti au livre ultime qui, semblable au monolithe de 2001: Odyssée de l’espace (lourdement cité), lui a permis d’accéder à un stade supérieur d’existence.

La quête du bonheur animal, mise en scène comme une sorte de panacée, solution parfaite au marasme des vies trop intelligentes menées par les humains, échoue d’abord sur une longue séquence où une jeune femme à poil fait le singe dans une caverne au bord de l’eau, puis sur la disparition pure et simple de la vache que l’on voyait depuis le début, et à laquelle on avait presque fini par s’attacher.

Pas de chance, on n’aura même pas l’occasion de savoir ce qu’elle est devenue en dehors du tournage: si certains films s’intéressant à la représentation des animaux finissent parfois par donner leurs véritables noms au générique, ici seule la « vaca bipede » se voit associée à quatre noms d’acteurs. La vaca quadrupede, elle, aura à peine droit à la mention de son « tratador » et de son vétérinaire.

ANIMAL POLITICO (Brésil, 2016), un film de Tião, avec Rodrigo Bolzan, Elisa Heidrich, Victor Laet, Thiago Gonçalo Da Silva. Durée : 70 min. Sortie en salles en France indéterminée.