COMPTE TES BLESSURES : la finesse hard corps

Tourné à Bordeaux, Compte tes blessures raconte l’histoire d’un père et d’un fils qui ne se comprennent plus depuis la mort de la mère. Avec ce premier long-métrage aussi génial que prometteur, Morgan Simon pousse le spectateur dans ses derniers retranchements.

 

Toute la complexité de la relation père/fils explosera dans la dernière scène du film. Une incroyable provocation du fils, Vincent, interprété par Kevin Azaïs, changera irrémédiablement le rapport de force et mettra le spectateur horriblement mal à l’aise. Avant d’en arriver là, nous aurons perdu nos moyens, nous aurons été touchés, secoués par un formidable ascenseur émotionnel. Nous aurons observé l’opposition entre un homme dur qui utilise la violence et l’humiliation pour dominer un fils sensible et très affecté par la mort de sa mère.

La jalousie du père, Hervé (Nathan Willcocks), se caractérise par un rabaissement perpétuel. Vincent, lui, exprime toute sa colère avec ses tatouages et sa musique. Il n’accepte pas ce que son père lui fait endurer, répondant à ses menaces par l’action, des actions qui lui permettent de s’affirmer. Le fils évoque l’absence de sa mère avec nostalgie tandis que le père n’en parle jamais. Les deux personnages ne se parlent pas non plus entre eux réellement et c’est par des cris que chacun essaie de se faire entendre. Ici est mis en perspective la perte d’un équilibre que les personnages tentent de rétablir avec une autre figure féminine, qu’ils se disputent. On bascule dans la rivalité.

Objet de convoitise, le réalisateur montre cependant que le véritable amour réside dans la relation ambigüe entre le père et son fils (quand les gros plans sur eux se succèdent, nous sommes dans leur intimité, mais aussi dangereusement proches de l’inceste). Le jeune réalisateur Morgan Simon livre un film fort, punk comme le veut la cinquième édition du FIFIB. Une révélation.

Enzo Bessega

 

COMPTE TES BLESSURES de Morgan Simon

Compte tes blessures est un film où l’on se casse la voix, où l’on crie, on pleure, on s’enlace et on se repousse. Kévin Azaïs, dans son rôle de jeune musicien tatoué et rebelle en apparence, est bouleversant de délicatesse et de sensibilité. Il chante sa colère, sa rage, ses frustrations et ses peines de façon viscérale, et se protège derrière une carapace d’encre sans laquelle il serait nu et vulnérable. Compte tes blessures est honnête et violent. Le hardcore y sonne comme un cri de rage et d’amour, un appel au secours pour guérir les plaies profondes laissées par un deuil et jamais cicatrisées.

On se rend rapidement compte des difficultés de dialogue auxquelles se heurtent Vincent et son père, Hervé ( Nathan Willcoks ) : mettre des mots sur des sentiments qui leur échappent. Le chaos des rapports père/fils vient en partie de la complexité même du personnage de Hervé. Il oscille entre jalousie, attaque gratuite et tendresse paternelle, incapable de dire ces deux mots a son fils : «  Je t’aime ». Il y a en lui une contradiction, celle d’un père qui veut que son fils parte, tout en le retenant par la main.

Avec Compte tes blessures, on s’engouffre dans une relation sombre et cyclique où chaque aspiration de pardon et d’amour s’effondre aussitôt révélée ; les deux hommes étant incapables de s’aimer simplement. Pourtant, le film est tout entier porté par l’espoir soudain de la possibilité d’un amour et d’un nouveau futur. Le manque d’amour maternel, lui, se traduit par la relation que Vincent entretient avec la copine de son père. Se dégage alors un érotique maternel qui finalement se veut plus psychologique que physique ou charnel ; une dimension œdipienne profondément sensible.

La singularité de Compte tes blessures réside dans les non-dits et les sous-entendus. Tout passe par des regards, des phrases maladroites, des crispations du visage. Cette subtilité est portée par des gros plans très intelligemment utilisés nous permettant de capter les moindres émotions. Ils font du corps humain un roman.

Lucille Manent

 

COMPTE TES BLESSURES (France, 2016), un film de Morgan Simon, avec Kevin Azaïs, Monia Chokri, Nathan Willcocks, Julien Krung. Durée : 90 minutes. Sortie en France le 1er février 2017.