PERSONAL SHOPPER : Kristen Stewart, solitaire en détresse
Maureen est une jeune américaine qui vit à Paris et dont le travail est d’habiller une célébrité qu’elle déteste. Médium, elle a mis sa vie entre parenthèses depuis trois mois, dans l’attente d’un signe de son frère jumeau Lewis, décédé peu de temps auparavant dans une maison de banlieue. Après Sils Maria, Olivier Assayas nous offre Personal Shopper, un véritable condensé de tension sur le thème du deuil et de la solitude.
Personal Shopper se revendique comme un film de fantômes moderne, et joue la carte de la jeunesse, déchirée et touchante. Kristen Stewart incarne son héroïne magistralement, portant le film avec une rage bouillonnante et la grâce maladroite qui lui est propre.
Lent et ponctué de violence, le film épouse toutes les réactions de son personnage quasi-unique, au plus proche de lui. La caméra est en mouvement presque permanent, soulignant habilement l’instabilité de Maureen, mais aussi le fait qu’elle est en suspension, vide et perdue, comme amputée d’une partie d’elle-même depuis la mort de son jumeau emporté par une pathologie dont elle souffre aussi. C’est avec violence qu’elle exige que celui-ci l’affranchisse de son deuil et son chagrin, en lui parlant depuis l’au-delà. L’opposition entre l’utilisation du spiritisme et des moyens de communication moderne (Skype, SMS, Youtube) souligne l’impuissance de Maureen à discuter une dernière fois avec Lewis, son alter-ego, et ainsi, se retrouver elle-même.
Personal Shopper est donc le récit d’une reconstruction aux allures de sorcellerie, au cœur d’une époque où tout se veut rationnel et explicable.
Le travail de Maureen, aliénant et qui ne lui inspire que de l’ennui, est pourtant pour elle une façon d’emprunter de temps à autre l’identité de sa patronne, star très médiatisée, de se cacher de ce quotidien qu’elle hait, de fuir une réalité qui la débecte. Imperméable au luxe, Maureen est centrée sur sa quête, incapable de discerner monde réel et désirs.
Personal Shopper semble avoir toutes les cartes en main pour être un film de genre actuel et sans fioriture. Néanmoins, le graphisme inutilement figuratif d’une apparition fantomatique et la reconstitution grotesque d’une séance de spiritisme du XIXème siècle mettent à mal la crédibilité du film. D’autre part, la folie utilisée comme source de visions effrayantes reste un thème vu et revu, et étonnamment, il n’est pas traité ici de façon plus originale que dans n’importe quel autre film de fantôme. De plus, le nombre inutilement important d’interrogations soulevées, et l’incohérence de leur résolution laisseront sans doute le spectateur de glace ou avec le sentiment amer que tout le suspense habilement créé tout du long a été balayé d’un revers de main.
Louise Marmié
Kristen Stewart interprète la jeune Maureen. Avec audace, cette actrice au grand talent s’essaye au cinéma dit d’auteur, un autre registre que le cinéma hollywoodien. Et elle se montre sous un nouveau jour, profitant de ce nouvel espace, dont elle avait besoin pour faire la démonstration d’un jeu encore jamais expérimenté. Souvent seule, Kristen Stewart sait occuper des scènes longues et difficiles à jouer « avec un grand talent chorégraphique », selon les mots de son metteur en scène Olivier Assayas, sans jamais lasser. L’actrice incarne un personnage très particulier, perpétuellement et indéniablement solitaire, passive et livide, la peu attrayante et pourtant si touchante Maureen.
Son jeu est physique parce que tout passe par son corps ; un paradoxe vu l’habitude qu’a Maureen de renier son être, elle, l’étrangère à elle même, une femme dans un corps impersonnel à la recherche de sensations. Les intrusions constantes dans son intimité, ses pensées, sa sexualité, suscitent un malaise mêlé de curiosité, tout en rendant le personnage plus humain, crédible.
Film étrange, Personal Shopper parle d’un deuil difficile à faire, rendu curieux par les dons de voyance de son héroïne, encore plus quand son réalisateur y mêle la technologie, vecteur d’une véritable tension dramatique.
On se retrouve face à celle qui n’arrive pas à avancer. Celle qui se doit de rester pour un frère qui est déjà parti. Celle qui s’abandonne, physiquement, moralement, à cet exercice si compliqué qu’est le deuil, plongée dans un monde qui n’est pas le sien, celui de la mode, un univers aliénant, qui la noie, et encourage tous ces questionnements quant à sa féminité. Cet état de détresse poussera Maureen, oppressée et harcelée, dans ses plus noirs retranchements…
Frissons et adrénaline, tristesse, compassion et malaise : Personal Shopper, comme une collision, laissera son public assailli par une multitude de sensations, abasourdi et troublé par des questions sans réponses.
Alice Gapail
PERSONAL SHOPPER (France, 2016), un film d’Olivier Assayas, avec Kristen Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz, Anders Danielsen Lie. Durée : 105 minutes. Sortie en France le 14 décembre 2016.