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Un film à sketchs dans lequel un teckel traverse les instants de vie de différents personnages ayant pour point commun la solitude. On est chez Todd Solondz donc ça grince, ça gêne, ça rit jaune. Et c’est beau.
Le principe est simple : dresser le portrait d’un teckel et de tous ceux auxquels il apportera un bref instant de bonheur. Un postulat apparemment limpide. Il pourrait laisser croire que Todd Solondz s’est assagi et qu’il s’agit ici de sa première comédie légère. Ce ne n’est pas le cas : ici encore, le cinéaste ne se dépare jamais du cynisme teinté de mélancolie qui lui est cher.
Le Teckel est scindé en quatre parties distinctes. Même toile de fond pour chacune et même point commun, ce fameux chien qui observe ses maîtres et maîtresses, confrontés aux difficultés de la vie. Dans la première, il est offert à un jeune garçon (Keaton Nigel Cooke) qui se remet d’un cancer. Le chien sert de palliatif affectif, tant la mère (Julie Delpy) et le père s’avèrent incapables de gérer les émotions de leur enfant, tout comme ils sont incapables de se débrouiller avec cet animal qu’ils traitent de « motherfucker » simplement parce qu’il ne répond pas aux ordres. Ce segment permet à Solondz de montrer sa part la plus tendre, en plus de nous proposer une magnifique séquence voyant notamment le teckel faire du skateboard au ralenti. Et c’est forcément encore plus beau que sur Giphy.
La seconde partie met en scène Greta Gerwig dans le rôle de Dawn Wiener (patronyme qui signifie donc « saucisse » en Anglais), interprété il y a 20 ans par Heather Matarazzo dans le second long-métrage de Solondz, Bienvenue dans l’âge ingrat. Loin de ses rôles récents d’hipsterique, Gerwig campe une assistante vétérinaire légèrement handicapée sociale, au quotidien morne (si l’on se fie à la décoration glauquissime de sa chambre) mais retrouvant un peu de joie de vivre avec sa « p’tite crotte », surnom donné à son teckel nouvellement acquis. Cet épisode sous forme de road trip aux côtés d’un ex-petit ami (Kieran Culkin) permet de voir défiler toute une galerie de personnages pittoresques. Un pittoresque qui culmine au détour d’une séquence évitant habilement le moindre cliché, et permettant au passage à Greta Gerwig d’enrichir sa palette de jeu.
Dans le troisième segment, on suit Danny De Vito, professeur de cinéma et ancien scénariste à succès, aujourd’hui petit être dépressif qui n’a que son teckel pour lui apporter un brin de réconfort. Dans ce rôle, De Vito réalise l’une de ses meilleures prestations (on ne l’avait pas vu aussi génialement pathétique depuis… Batman, le défi ?). L’absurdité réaliste de certaines séquences (les conversations téléphoniques avec les agents, la conclusion) ne sont pas sans évoquer Seinfeld ou Curb Your Enthusiasm, d’ailleurs explicitement cités au détour d’un dialogue.
Enfin, le quatrième et dernier segment fait d’Ellen Burstyn une vieille mamie irascible accueillir sa petite-fille accompagnée de son fiancé artiste. Là aussi, le teckel (ici appelé « cancer ») sert de palliatif affectif. La vieille femme attend que la mort vienne la délivrer, alors autant attendre en ayant à ses côtés un être aimant. Cette fois, Solondz se fait profondément mélancolique, adoptant un regard plein de regrets jeté vers le passé, sur tous ces petits instants que l’on ne pourra plus revisiter, sur toutes ces petites choses que l’on aurait pu mieux faire mais que l’on a ratées. La mise en images se révèle assez naïve, mais le propos est indéniablement touchant. Et Burstyn est bouleversante.
Todd Solondz reste fidèle à sa verve la plus cruelle, n’épargnant rien ni personne
En l’état, Le Teckel est, à peu de choses près, un produit invendable : malgré l’animal en titre, adorable, et la promesse de voir un festival de moments rigolos avec un chien, le film tend plus vers le drame existentiel qu’autre chose. On imagine sans mal le casse-tête que représente la promotion d’un objet pareil. Mieux vaut y aller préparé, en tous cas, et ne pas s’attendre à s’esclaffer toutes les trois secondes. Solondz n’est pas et ne sera jamais Judd Apatow ou Wes Anderson. Il reste fidèle à sa verve la plus cruelle, n’épargnant rien ni personne (une pensée pour les étudiants en cinéma et les artistes contemporains, qui en prennent particulièrement plein la tronche), et malgré un interlude pop et rigolo sur fond de balade bluesy à la Johnny Cash, semblant tout droit sorti d’une comédie que n’est certainement pas le film, Le Teckel n’a pas grand-chose d’un feel-good movie. Tout l’inverse, plutôt une fable dépressivo-existentielle, magnifiée par la photo de Edward Lachman (récemment à l’œuvre sur Carol de Todd Haynes), un film sur la solitude contemporaine, sur ce qu’elle implique et sur les moyens d’y échapper. On rit parfois, mais le malaise est prégnant tout le long, en particulier sur la fin, où le rire se fait nerveux tant ce qu’il se passe devient proprement hallucinant. Si vous n’avez pas envie de foncer à la SPA la plus proche dès le générique de fin, c’est que vous n’avez pas de cœur.
LE TECKEL (Wiener-Dog, Etats-Unis, 2016), un film de Todd Haynes, avec Greta Gerwig, Zosia Mamet, Julie Delpy, Kieran Culkin, Danny DeVito, Ellen Burstyn. Durée : 88 minutes. Sortie en France le 19 octobre 2016.