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Une belle ingénue tente sa chance en tant que mannequin à Los Angeles et évince rapidement ses concurrentes : The Neon Demon restera comme le seul compétiteur de Cannes 2016 à avoir inventé des images, un film envoûtant et vaniteux comme une longue publicité qui n’aurait rien d’autre à vendre qu’elle-même.
A défaut d’avoir un Dario Argento encore en état de marche, réjouissons-nous d’avoir un Nicolas Winding Refn toujours pas aspiré par Hollywood. Avec Neon Demon, le cinéaste danois approche le giallo comme un champ d’expérimentations visuelles. Il n’est pas aussi abstrait qu’Hélène Cattet et Bruno Forzani, les réalisateurs d’Amer et de L’étrange couleur des larmes de ton corps, il est bien plus contemporain (son film est bien de 2016, il ne ressemble pas à une déconstruction seventies) mais lui aussi se préoccupe moins de l’intrigue que du look et de l’atmosphère vénéneuse à laquelle la musique « morodienne » de Cliff Martinez contribue largement. Avec une difficulté supplémentaire à surmonter : son sujet – la beauté et le pouvoir qu’elle exerce – et ses scènes de shooting, milieu de la mode oblige, qui auraient pu faire ressembler le film à une longue publicité. Or Neon Demon ne ressemble jamais à une réclame. Peut-être que des réclames vont bientôt ressembler à Neon Demon et le dévitaliser rétroactivement en le pillant, mais pour le moment, le film est seul, il faut en profiter. Au sein de la Compétition de Cannes 2016, il est même le seul à vouloir inventer des images et à y parvenir.
Le film a une autre ambition, impossible à satisfaire : être une odyssée de la beauté, faire pour elle ce que Kubrick a fait pour l’espace avec 2001.
Cela ne veut pas dire qu’il ne ressemble à rien de connu. Il y a du Suspiria et du Inferno partout, l’image électrique du Michael Mann des années 80 mise au goût du jour, des éclats de Gaspar Noé avec qui Winding Refn partage le même producteur (Vincent Maraval) et un même acteur (Karl Glusman, aussi inerte que dans Love), un peu de Showgirls aussi, voire de Knight of Cups… Cela ne fait pas de Neon Demon une compilation ou une œuvre maniériste. Le film a une autre ambition, impossible à satisfaire : être une odyssée de la beauté, faire pour elle ce que Kubrick a fait pour l’espace avec 2001. Il n’y parvient pas, parce que n’en déplaise au Diable s’habille en Prada, la mode n’est que la mode, et que si elle relève d’un indiscutable travail d’artiste, elle ne peut inspirer le même vertige métaphysique que le vide sidéral. Cet échec prévisible rend Neon Demon vaniteux, mais pas moins envoutant. Et là où il se démarque de l’imagerie publicitaire, c’est qu’il ne vend rien d’autre que lui-même.
Pas de vêtements, d’accessoires, ni même de sexe. Winding Refn a pris l’habitude de filmer les hommes comme des androïdes, et les femmes, comme des créatures banales, peu attractives voire carrément répugnantes. Alors quand il montre des mannequins, soient des femmes-robots à ses yeux (ce dont se vante l’une d’elles, devant une Elle Fanning lui demandant benoîtement si c’est une bonne chose ou non), on attend un sommet d’inhibition sexuelle. Neon Demon n’est donc pas sexy au sens érotique du terme, ce qui donne encore plus de mystère à son pouvoir hypnotique. Le regard ne se concentre pas sur la beauté de Elle Fanning par exemple. Une beauté qui se banalise à mesure que le film avance d’ailleurs, car plus les personnages tombent en extase, plus on se demande pourquoi (ça fait sens, vu qu’il est question dans l’histoire de la date de péremption avancée de celles qui s’exposent trop). Le regard se régale de la profondeur folle de chaque plan. Les différences de couleurs dans les multiples éclairages de chaque scène, les décors à angles droits et les nombreux miroirs (accessoire facile, mais à sa place, qui permet de refléter les corps comme des surfaces de papier glacé) donnent un tel relief à chaque plan que l’on se croirait devant un film projeté en 3D. Et quand l’œil y croit autant, le cerveau suit sans problème : une telle profondeur physique implique forcément que Neon Demon n’est pas superficiel.
THE NEON DEMON (Etats-Unis, Danemark, France, 2016), un film de Nicolas Winding Refn, avec Elle Fanning, Jena Malone, Bella Heathcote, Abbey Lee. Durée : 117 minutes. Sortie en France le 8 juin 2016.