BERLIN 2016 en 9 autres films : de 24 WEEKS à WAR ON EVERYONE

Grossesse extrêmement difficile, flics roulant à tombeau ouvert sur un mime, deux Frances Ha, un film tunisien doublement récompensé au palmarès, du contemplatif ou du bavard : petit tour d’horizon de neuf « autres » films présentés à la 66ème Berlinale, dont certains franchement bons.

 

24 WEEKS de Anne Zohra Berrached24 WEEKS de Anne Zohra Berrached (Compétition). Une humoriste, déjà mère de famille, apprend que l’enfant qu’elle porte sera trisomique, puis que celui-ci présente une anomalie cardiaque avec un espoir limité de guérison : compte-tenu de la gravité et de la lourdeur de son sujet, il ne fallait pas grand-chose à 24 Weeks pour devenir insupportable. Si ce long-métrage allemand n’est pas exempt de petits défauts (deux ou trois regards caméra qui ne servent à rien, une héroïne qui manque de crédibilité dans ses scénes de stand-up), ils ne pèsent rien au regard de l’ensemble, sobre et poignant. Puisque 24 Weeks tourne autour du choix douloureux de l’avortement, il y a bien quelques moments très didactiques (une consultation avec deux médecins – joués par de véritables médecins d’ailleurs – pour nous aider à bien peser le pour et le contre), mais surtout la solitude dingue d’une femme publique, une célébrité sur laquelle tout le monde a un avis, forcée d’assumer sans l’aide de personne, encore moins de son compagnon, une décision condamnée à ne pas la satisfaire, quelle qu’elle soit. 24 Weeks a beau reposer sur un sujet digne de la belle époque de Ca se discute, il prend aux tripes. On s’en rend compte lorsque le point de non-retour est atteint dans l’histoire et que tout d’un coup, on considère presque cet enfant à naître comme le nôtre.

BADEN BADEN de Rachel Lang (Forum). Premier long-métrage pour sa réalisatrice Rachel Lang et son actrice Salomé Richard, Baden Baden est une jolie découverte, un film sans prétentions colossales mais plein de charme et de spontanéité. Salomé Richard y incarne Ana, qui à 26 ans est aussi égarée dans sa propre existence à Strasbourg qu’une certaine Frances Ha à New York. Alors pour ne pas penser aux réponses qu’elle n’a pas, sur l’amour, la maternité, le boulot, la mort, Ana reste toujours en mouvement : elle lance de grands projets à l’issue plus qu’incertaine, laisse garçons et filles flirter avec elle, entretient par des actes déraisonnables et mutins sa position à la marge de la société plutôt que d’attendre que la société lui dise qu’elle ne veut pas d’elle. Le personnage est aussi bien cerné par l’écriture que porté par l’interprétation, le rythme est entraînant et les situations inspirées, le film sonne vrai et rien ne vient abîmer sa relation complice avec son héroïne. La tête en l’air et les pieds sur terre Ana, Salomé et Rachel nous emmènent faire un bout de chemin avec elles, pas bien loin (même pas jusqu’à Baden Baden) mais la virée laisse un bon souvenir.

CARTAS DE GUERRA de Ivo M. Ferreira (Compétition). Le film se rêve en descendant de La ligne rouge de Malick (visions d’une guerre occidentale sous les tropiques, voix-off en quête d’absolu poétique, déconnectée de ces commotions) mais en est aussi éloigné que le Portugal l’est de l’Angola où ses soldats sont allés combattre au début des années 1970. Tout ici n’est que litanie indigente, sans grâce ni souffrance. Les images n’expriment rien, par manque de moyens possiblement mais aussi parce que l’inspiration fait cruellement défaut ; les missives récitées par la voix-off débitent de la banalité au kilomètre et ressassent en boucle les mêmes sentiments qui ne s’élèvent jamais, sonnent tout à fait creux. La purge du festival.

HEDI de Mohamed Ben Attia (Compétition). Que Hedi soit reparti de Berlin avec les prix du meilleur premier film et du meilleur acteur nous laisse pantois, car nous n’y avons vu pour notre part rien d’autre qu’un banal film du monde en caméra à l’épaule, au charisme et à l’énergie aux abonnés absents comme c’est le cas pour son héros éponyme. L’encéphalogramme de Hedi est plat, aux antipodes d’un autre film regardant la Tunisie d’après le renversement de Ben Ali à travers les rébellions de sa jeunesse : A peine j’ouvre les yeux, découvert à la fin de l’année dernière.

HOMO SAPIENS de Nikolaus Geyrhalter (Forum). Ce documentaire repose sur un postulat très fort – nul besoin de science-fiction ou d’images de synthèse pour voir la fin du monde, ses manifestations visuelles sont d’ores et déjà disséminées partout sur la planète, dans nos immenses constructions en ruine. Cela donne des images assurément renversantes (décharges à ciel ouvert, centres commerciaux à l’abandon, centrales nucléaires désaffectées…), mais dont la déclinaison sur 1h30 de plans fixes accompagnées des seuls bruits ambiants est tout simplement trop longue, répétitive. L’œuvre est disproportionnée par rapport à son propos. Une déception, car Notre pain quotidien du même réalisateur était extraordinaire.

LAO SHI de Johnny Ma (Forum). Un drame sec démontrant la violence du chacun pour soi chinois par un exemple : celui d’un chauffeur de taxi qui, plutôt que de laisser mourir au bord de la route l’homme qu’il a renversé, l’amène à l’hôpital et en voit sa vie aller de mal en pis après cela car tout le monde va soit lui reprocher ce geste d’humanité, soit en profiter. Le film manque un peu de nuances et d’approfondissement, mais est tout de même convaincant grâce à la qualité de l’interprétation, à de bonnes idées de scénario, au trait acerbe du portrait d’une société où plus rien ne fait lien entre les individus.

MAGGIE A UN PLAN de Rebecca MillerMAGGIE A UN PLAN de Rebecca Miller (Panorama). Quand on demande à Greta Gerwig si elle n’en a pas marre de toujours jouer le même rôle, elle se vexe : pour celle qui écrit un véritable journal intime à chacun de ses personnages, il n’est pas question de s’enfermer dans un registre et de donner l’impression d’être toujours elle-même à l’écran. Visiblement, quelque chose cloche dans la méthode Gerwig, parce que la Maggie qu’elle joue pourrait être la jumelle de Frances Ha ou la cousine de son personnage dans Mistress America ou Greenberg. Mais Greta étant ce qu’elle est, à savoir irrésistible, et la lassitude ne pointant pas encore, c’est une joie de la retrouver en undattable trentenaire désireuse d’avoir un enfant sans le père qui va avec. Maggie a un plan prend modèle sur Woody Allen, tant mieux, sans réussir toutefois a faire de ses enjeux dramatiques davantage que des prétextes à de belles performances d’acteurs, dont celle de Julianne Moore, exceptionnelle en ethnologue danoise, sérieuse dans l’humour comme elle l’est dans la tragédie.

TEMPESTAD de Tatiana Huezo (Forum). Tempestad est un documentaire très aride (au dispositif formel voisin de celui de New territories, autre film traitant d’exploitation inhumaine d’individus par ceux qui les gouvernent), qui si on parvient à y entrer fait l’effet d’une version plus cauchemardesque encore de la série Making a murderer. Tempestad nous plonge dans un Mexique orwellien dirigé par un monstre à deux têtes, la police et les cartels, officiellement ennemies mais objectivement complices dans la barbarie arbitraire. Les uns et les autres font disparaître des civils innocents, telles les deux victimes des témoignages qui nous sont présentés ici – l’une enlevée par un cartel, l’autre arrêtée sans raison par la police… et incarcérée dans une prison ouvertement gérée par un cartel. La description de cet État parallèle glace le sang, d’autant plus qu’il s’agit d’une structure dont l’existence est carrément niée – il n’en existe aucune reconnaissance par l’État légal, aucune image. Ce vide rend fous ceux qui y sont confrontés directement (comment faire reconnaître un crime qui vous a été infligé si sa source n’existe soi-disant pas ?), et rend le film impuissant (il retranscrit sans tricher cette absence d’images) et vertigineux – par la fêlure entre le quotidien visible et paisible qu’il nous montre, et sa face cachée monstrueuse qui ne peut que nous être racontée oralement.

MAGGIE A UN PLAN de Rebecca MillerWAR ON EVERYONE de John Michael McDonagh (Panorama). Un film qui s’ouvre sur deux flics en bagnole roulant sur un mime pour voir si ce dernier crie quand on le percute ne peut pas être mauvais. La suite de War on Everyone est dans la même veine, comme un épisode de L’Arme fatale où les policiers émérites auraient été remplacés par deux gros ripoux qui aiment l’argent mais pas les méchants. Le duo formé par Michael Pena et Alexander Skarsgard repose sur le contraste et la complémentarité de leurs physiques (le petit chicano au look de prédicateur bling bling et le grand blond habillé comme s’il allait se marier). Grâce à celui-ci, John Michael McDonagh (The Guard, Calvary) investit une toute petite niche du buddy movie foufou coincée entre le délire froid d’un Adam McKay (Very Bad Cops) et le cool trop forcé d’un Guy Ritchie. Cadeau bonus : Simone de Beauvoir citée dans le texte, une virée en Islande sur les traces d’un indic’ black amoureux d’un trans et une conversation drôlissime avec Paul Reiser en chef de la police, au sujet du racisme au sein des forces de l’ordre.

 

La 66ème Berlinale s’est déroulée du 11 au 21 février 2016.

 

La rédaction
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