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Dans les ruines d’une maison de Fukushima, la cohabitation entre une jeune Allemande incapable de faire dans l’humanitaire et une vieille Japonaise, acariâtre et bien décidée à ne pas quitter son foyer : efficace dans la comédie, sobre dans la tragédie, Fukushima, mon amour est un buddy movie bouleversant ou un drôle de mélodrame, une réussite dans tous les cas.
Marie, une Allemande au cœur brisé se rend dans la zone irradiée de Fukushima et y rencontre Satomi, une japonaise endeuillée. L’occidentale n’a évidemment rien vu à Fukushima, tout comme Emmanuelle Riva n’avait rien vu à Hiroshima, mais heureusement la réalisatrice de Fukushima, mon amour, Doris Dörrie, a bien vu le film d’Alain Resnais. Et elle a visiblement compris qu’à moins de se lancer dans une méditation métafilmique comme l’a fait Nobuhiro Suwa avec H Story, mieux valait ne pas courir après Hiroshima, mon amour. Sans ce titre référencé, on aurait vite fait de passer son temps à chercher Hiroshima dans Fukushima, à se gâcher le plaisir à comparer l’incomparable. Grâce à ce titre, Doris Dörrie annonce d’emblée que, oui, l’histoire qu’elle raconte est semblable à celle de Resnais et Duras, donc passons à autre chose s’il vous plaît. Celui-ci fonctionne comme une ligne tracée entre le chef-d’œuvre de la modernité d’un côté, et un film qui n’a aucunement la prétention de rivaliser avec lui, mais qui s’autorise aussi à faire naître la fiction dans un espace radioactif où seul le documentaire semble toléré.
Les deux héroïnes passent leur temps à faire le ménage, mais le film, lui, passe le test Bechdel très haut la main.
Fukushima, mon amour est en effet le premier long-métrage de fiction tourné non loin de la centrale ravagée par le tsunami du 11 mars 2011. Ce n’est dit nulle part, ni en préambule ni dans le générique de fin : le film n’en a pas besoin pour faire vibrer la corde sensible, comme il n’a pas besoin non plus de faire dans le destruction porn (on ne s’attarde pas dans la ville fantôme, on ne fait pas de tourisme malsain). Nippophile aguerrie, Doris Dörrie explique en conférence de presse avoir cherché longtemps un moyen d’aborder Fukushima de son point de vue d’Allemande, car jamais elle n’aurait eu l’outrecuidance de parler au nom des Japonais. Elle est finalement allée au plus simple, en se créant un double à l’intérieur du film, une femme clown qui croit que faire rire les rescapés de la catastrophe l’aidera à faire le deuil de son mariage avorté. Ce prétexte, à peine crédible il faut bien l’avouer, s’efface rapidement derrière le gros morceau du film : la cohabitation inattendue entre cette jeune et grande Allemande et une petite Japonaise âgée, dans la maison dévastée de cette dernière.
Des frictions concrètes entre l’extrême-orient et l’occident, il y en a eu au cinéma, de Duel dans le Pacifique à Karaté Kid, en passant par Le Dernier samouraï ou Black Rain, mais elles étaient systématiquement masculines, brutales. Fukushima, mon amour est une affaire de femmes. On ne dit pas ça pour justifier ainsi sa délicatesse, on ne vous fera pas cette offense. Il s’agit d’un fait et d’une aubaine. Parce que dans le village provisoire des rescapés, il n’y a que des femmes, le plus souvent âgées. « Psychologiquement, les hommes n’ont pas tenu le choc de la catastrophe, explique Doris Dörris. Le taux de suicide chez eux est record. Ceux qui vivent se perdent dans les jeux d’argent et l’alcool ». Fukushima, mon amour est une affaire de femmes parce qu’elles seules ont hérité de cette terre de malheur. C’est un fait donc, et une aubaine pour le film qui peut inscrire dans un registre exclusivement féminin et féministe le récit d’apprentissage et le buddy movie, dont on se rappelle en voyant Fukushima, mon amour à quel point ils restent tous deux outrageusement masculins. Sachant que les deux héroïnes passent leur temps à faire le ménage, ça ne manque pas de piquant… D’homme il n’y a pas ; le film passe le test Bechdel très haut la main. Ce sont des flashs du passé, des photos trouvées sous les débris, des silhouettes de passage. « C’est un petit ami » dit laconiquement Satomi à chaque fois que Marie découvre un cliché d’elle en compagnie d’un homme.
Il y a du zen, oui, mais il n’est pas saupoudré comme une épice destinée à offrir un shot de spiritualité aux occidentaux en manque d’exotisme.
Satomi est une geisha, la dernière de sa province, et avec elle disparaîtra davantage que des souvenirs personnels. Le récit d’apprentissage s’accroche à ce legs dont Marie semble la seule bénéficiaire, simplement parce qu’il n’y a qu’elle dans les parages. Pourtant, la jeune Allemande ne se verra enseigner qu’une seule chose concrète : la cérémonie du thé, aussi exigeante et précise que les entraînements au combat dans Karaté Kid. La passation est limitée, elle ne peut durer. Doris Dörrie a beau déborder d’amour pour ses deux femmes, elle ne se berce pas d’illusion. Il y a du zen, oui, mais il n’est pas saupoudré comme une épice destinée à offrir un shot de spiritualité aux occidentaux en manque d’exotisme. Le cérémonial du thé n’est pas là pour le folklore mais pour la dignité, pour sa capacité à produire le beau le plus infime là où tout n’est que laideur, à créer un éblouissement éphémère à l’endroit où le chaos est devenu un état permanent.
Non loin de Marie et Satomi, il y a des tonnes de sacs entassés. Ils contiennent la terre contaminée arrachée à la contrée. Non loin de ces amoncellements aberrants, de cette mise sous plastique du sol qui devrait supporter leurs pas, Marie et Satomi sont capables de renaître, davantage dans le rire que dans les larmes d’ailleurs. Il y a beaucoup d’éléments de comédie dans Fukushima, mon amour, et du fantastique aussi, pas seulement à cause des fantômes qu’on y voit (l’arrivée de Marie au Japon, quand elle s’attarde sur un homme à tête de chat, évoque lointainement la rencontre entre Alice et le Chat du Cheshire). Il y a surtout la compassion d’une européenne à l’égard du peuple japonais, et l’amour d’une réalisatrice pour ses deux actrices. Les deux se confondent en un tout qui donne envie de pleurer.
FUKUSHIMA, MON AMOUR (Grüße aus Fukushima, Allemagne, 2016), un film de Doris Dörrie, avec Rosalie Thomass, Kaori Momoi, Nami Kamata. Durée : 104 minutes. Sortie en France le 15 février 2017.