Newsletter Subscribe
Enter your email address below and subscribe to our newsletter
Grandeur et décadence sauvage d’un monumental immeuble d’habitations, où les pauvres occupent les étages inférieurs à l’ombre des balcons des luxueux appartements des riches. On sait que du haut d’une tour, l’important ce n’est pas la chute, mais l’atterrissage ; celui du High-rise de Ben Wheatley est catastrophique.
Il faut laisser J.G. Ballard en paix, et ses livres parler pour eux-mêmes. Venant après les tentatives de Steven Spielberg (L’empire du Soleil) et David Cronenberg (Crash), et sans avoir encore prouvé qu’il arrivait à la cheville de ceux-ci (même si Touristes est très amusant), Ben Wheatley rate sans faire dans la demi-mesure son adaptation du roman High-rise. À voir comment il essaye d’assurer ses arrières en bétonnant l’ouverture du film (un flash-forward qui nous prévient du carnage à venir, et nous en évente donc la surprise) comme son épilogue (un discours de Thatcher plaqué en voix-off pour être sûr que l’on ait bien saisi la connexion entre le scénario et les réalités politiques et économiques), on peut se demander si le réalisateur n’a pas pris lui-même conscience que quelque chose clochait sérieusement. Si seulement ce n’était qu’une seule chose – tout ou presque déraille à l’écran, dans ce collage pop fouillis et sans consistance, qui se croit provocateur sans parvenir à l’être.
Trop léger dans son rapport au matériau qu’il a entre les mains, et trop brouillon dans sa manière de l’exploiter, Wheatley regarde ce qui se passe dans les différents étages de son immeuble-société mais ne voit pas ce qui s’y joue réellement. On se demande bien pourquoi il a tenu à maintenir l’action dans les années 1970 qui ont vu l’écriture et la publication du livre. Cette décision (ou non-décision) n’apporte rien au film, et se montre même contreproductive. Les questions d’ordre humain et social cruellement posées par le roman – nos tendances à la servitude, à la bestialité, à l’autodestruction, au niveau individuel et global – sont toujours d’actualité, mais les personnages censés les incarner nous sont étrangers, distants d’un demi-siècle qui en parait bien plus. Le portrait de la déliquescence obscène de l’aristocratie fortunée qui possède et ordonne l’immeuble est particulièrement daté, si périmé qu’il n’émet plus la moindre vapeur de souffre.
Wheatley filme des choses, quantité de choses – des pleines pages de dialogues, des confrontations agressives, des jeux de séduction et de manipulation, des déplacements de la ligne de front entre les camps ennemis… Mais il ne donne à ces choses ni sens, ni enjeux, ni progression. Il pense pouvoir réussir à convaincre en passant uniquement en force (les montages clippesques avec montée en puissance de la musique, qui reviennent à intervalles réguliers pour maintenir une tension artificielle), en s’en remettant à la seule puissance du choc immédiat d’une apparition, d’une provocation, d’un renversement d’équilibre. Effectivement, devant chaque scène ou presque on se dit que High-rise pourrait, devrait être extraordinaire. Mais on voit bien qu’il n’en est rien, que le film fait de grands moulinets dans le vide et voudrait qu’on l’applaudisse sans trop savoir lui-même pour quelle raison.
HIGH-RISE (Angleterre, 2015), un film de Ben Wheatley avec Tom Hiddleton, Jeremy Irons, Sienna Miller, Luke Evans, Elizabeth Moss. Durée : 116 minutes. Sortie en France le 6 avril 2016.