VENISE 2015 en 19 autres films : de 11 MINUTES à WEDNESDAY, MAY 9TH
De cette 72ème Mostra, on préférera retenir son Palmarès inspiré plutôt que l’ensemble des films présentés. En une petite vingtaine de notules, retour sur les «autres» films qui ont fait Venise cette année, avec là encore du bon et du moins bon. Attaque terroriste, désastre écologique, harcèlement psychologique, scandale politique, il y avait toutefois de l’ambition dans toutes les sections.
11 MINUTES de Jerzy Skolimowski (Compétition). La pantalonnade de la compétition vénitienne. Une sorte de croisement entre Cours, Lola, cours et L’effet papillon, apparemment tout heureux de son effet d’épate. 11 minutes met en scène les mêmes 11 minutes – de 17h à 17h11 – de 11 personnages. Évidemment leurs destins vont se croiser, évidemment nous serons amenés à revoir des actions avec d’autres points de vue, évidemment les plus petites causes ont des conséquences énormes, etc.. Au final, la morale de tout ceci est consternante : 100 % des accidents sont d’origine accidentelle et impliquent des personnes qui n’ont pas d’autre point commun entre elles que cet accident. CQFD. On ne peut même pas se raccrocher à la réalisation cache-misère, qui multiplie les contre-plongées dans les scènes en extérieur pour filmer le ciel plutôt que le décor et s’éviter un lourd travail de raccord, ni même au fond de toute l’histoire : il y a bien des considérations lourdaudes sur l’image numérique et le grand œil de la caméra qui nous regarde tous dans le ciel, mais elles sont aussi gênantes que d’écouter une personne âgée vous expliquer comment vous servir de Tinder. En conférence de presse, Skolimowski affirmait avoir réalisé 11 minutes en réaction au cinéma d’action hollywoodien. Ce dernier doit bien se marrer. (C.B.)
BEHEMOTH de Zhao Liang (Compétition). On s’attendait à la retrouver au palmarès. Behemoth est de ces films faits pour les festivals, non pour leur exigence artistique (ou pas seulement), mais bien pour leur importance politique. Ce long-métrage documentaire de Zhao Liang était en compétition afin que personne ne loupe, ni les festivaliers, ni la presse, son examen précis et plombant de toute la chaîne d’absurdités et de monstruosités qui va de l’extraction du charbon, à une extrémité, à l’entretien de villes-fantômes, à l’autre extrémité, faites de grands ensembles au milieu de nulle part et n’abritant personne, où déambulent des employés municipaux chargés de l’entretien. Il ne manque rien, ni l’impact sur la nature, ni les effets nocifs sur les Hommes. Le texte en off s’inspire de Dante, afin de confirmer que nous sommes bien en enfer, et il y a un corps nu, abandonné et comme échoué d’un autre espace-temps (il fait bizarrement penser au corps de Kyle, l’homme du futur propulsé dans le passé de Terminator), mais ce ne sont pas les éléments les plus frappants. Le plus frappant, c’est la folie des images : cette grue perchée au sommet d’un montage détruite qui ressemble à un bout de Tour Eiffel plantée dans la terre, cette descente dans les profondeurs, ces visages couverts de suie, ces kilomètres de camions à touche-touche au point qu’on se demande si la route sert encore à quelque chose et ces immeubles énormes et vides, qui ressemblent à des villes-témoins, avec leurs kilomètres de routes neuves dont on se demande si elles serviront un jour. Il est terrible le miroir que Zhao Liang tend à la Chine. (C.B.)
DE PALMA de Noah Baumback et Jake Paltrow (Hors compétition). Brian De Palma, face caméra, assis chez lui à New-York, sa cheminée dans son dos, pendant près de 2h. Son œuvre évoquée film par film et dans l’ordre chronologique, avec extraits et photos de tournage. Programme simple et parfait, il n’en fallait pas plus, ni moins, pour que ce documentaire soit davantage qu’un gros bonus DVD. Noah Baumbach et Jake Paltrow sont à la réalisation, mais ce pourrait être n’importe qui d’autre. Si ce sont eux et pas d’autres, justement, c’est parce qu’ils sont amis avec De Palma et qu’à ce titre, ils font parler ce dernier comme il n’a jamais parlé, à part dans ses entretiens écrits avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud. On ne saurait que trop conseiller la (re)lecture de ces derniers d’ailleurs, mais en attendant, ce De Palma a de quoi satisfaire les cinéphiles, même s’il a vers sa fin la tristesse d’un testament. (C.B.)
EQUALS de Drake Doremus (Compétition). Dans un futur éloigné, deux jeunes éphèbes (Kristen Stewart et Nicholas Hoult) tombent peu à peu amoureux l’un de l’autre. Seul problème : dans ce futur, les sentiments humains sont considérés comme un virus qu’il faut soigner au plus vite. Et s’il est trop tard pour que le traitement médicamenteux soit efficace, c’est la mort qui attend les malheureuses victimes. Comme on peut le voir, le scénario a tout l’air d’être celui d’un film d’étudiant de cinéma un peu naïf. Et c’est effectivement l’impression que l’on a face au dernier essai de Drake Doremus (Like Crazy, Breathe in). Certes, l’auteur a eu les moyens pour mettre en images son univers dystopique blanc et aseptisé dans lequel l’humain n’est plus qu’un être semi-robotique (les mauvaises langues diront que « Kstew » est absolument parfaite pour le rôle). Mais il a surtout trop vu Bienvenue à Gattaca, THX 1138 ou le méconnu L’Âge de Cristal, auxquels il est impossible de ne pas songer pendant ces 90 minutes qui peuvent parfois sembler bien longues. La mise en scène est soignée (voire trop maniérée), la photo éthérée fait son petit effet au début, avant que la lassitude ne prenne peu à peu le dessus. Le film n’est pas non plus aidé par une musique qui, en plus d’être omniprésente, se contente d’agresser les oreilles des spectateurs à coups de guitare saturée. À oublier. (F.D.)
FRANCOFONIA d’Alexandre Sokourov (Compétition). Sokourov, cinéaste russe francophile (comme l’indique le titre du film), nous conte ici l’histoire du Louvre à travers le temps, de sa construction à aujourd’hui, en s’arrêtant longuement sur son rôle symbolique et politique dans la résistance à l’invasion allemande pendant la seconde guerre mondiale. Lorsque le film commence, le réalisateur est seul à son bureau, et c’est sa voix qui va nous accompagner tout au long de son œuvre hybride. Car c’est par le biais de toutes sortes de recréations qu’il déroule le fil de son imposant dispositif (malgré sa relative brièveté) : cela passe par la reconstitution historique de la prise du Louvre par le pouvoir allemand (avec Louis-Do de Lencquesaing dans le rôle du conservateur du musée), les prises de vue aériennes filmées en drones, le documentaire et les anachronismes volontaires qui font se croiser des personnages des années 1940 à des touristes d’aujourd’hui (qui feraient presque coucou à la caméra). Tout ceci étant régulièrement entrecoupé de discussions sur Skype avec un ami marin de Sokourov, dont le bateau chargé de containers est pris dans une tempête de tous les diables. Un film riche qui bouillonne d’idées, et une proposition de cinéma comme on a peu l’habitude d’en voir de nos jours. Et tant pis si l’on n’est pas sûr d’avoir tout compris. (F.D.)
GO WITH ME de Daniel Alfredson (Hors compétition). Entre ce titre et Man Down, notre cœur balance : lequel fut réellement le pire film de la 72ème Mostra ? Go With Me a de solides arguments, parce qu’il n’a strictement rien à raconter, et que le peu qu’il a à faire, il le fait mal. Attention, vraiment très mal. A tel point que les sorties de projections furent comiques : il suffisait de dire « Go With Me » à un spectateur pour que son visage se décompose et qu’il vous dise dans sa langue « c’est pas possible, c’est pas possible… ». C’est adapté d’un roman – on ne veut pas savoir lequel –, par le réalisateur de Millénium 2 et 3 (pas le premier, dommage), et ça parle d’une jeune femme qui revient s’installer dans son village natal dans la neige, mais se retrouve persécutée par le malfrat local interprété par… Ray Liotta, dans un rôle inédit donc. On pourrait en avoir fini au bout de 10 minutes, seulement la police se refuse à intervenir (Ray Liotta est vraiment trop méchant), les hommes de la ville se refusent à intervenir (il est vraiment VRAIMENT méchant) et chaque rencontre entre la jeune femme et ses soutiens potentiels est l’occasion de voir à quel point Ray a traumatisé toutes ces personnes. Toutes ? Non, car Anthony Hopkins veille et il a beau être vieux, lui va venir au secours de la belle, tout au long de ce road movie de quelques kilomètres, et pourtant aussi chiant que de traverser un champ enneigé simplement pour aller chercher du pain chez le boulanger. Le combat final est monté par un aveugle, et à Venise, seuls le réalisateur et l’acteur jouant le rôle du bègue dans le film (on vous laisse deviner le résultat) étaient là, abandonnés par leur cast américain. La pitié était grande. (C.B.)
IN JACKSON HEIGHTS de Frederick Wiseman (Hors compétition). La méthode Wiseman, on commence à la connaître : quasiment pas de montage, pas de voix off explicative, mais de longues séquences dans lesquelles le cinéaste laisse l’image et la parole s’exprimer par elles-mêmes. Un dispositif que le cinéaste américain utilise depuis près de 50 ans, et qu’il met à profit une nouvelle fois ici. Jackson Heights, quartier du Queens de New York, est une véritable mosaïque de communautés, un melting-pot bouillonnant que Wiseman observe avec son humble caméra. Ce dernier nous plonge donc au cœur de ce quartier exalté, où il est aussi bien question du droit des homosexuels et des transgenres, d’expropriation (les riches propriétaires mettant à la porte les pauvres locataires) que de fiestas liées à la Coupe du Monde de football. C’est également l’occasion pour Wiseman de faire un état des lieux de l’Amérique d’aujourd’hui, cette terre de libertés où il vaut tout de même mieux être privilégié pour pouvoir en profiter. Sur la forme, on assiste donc à de nombreux débats, avec des moments forts, des moments poignants, mais aussi d’autres plus ennuyeux. Bref, la vie condensée en un peu plus de 3 heures. Et c’est ce qui fait à la fois la force et la faiblesse de cette méthode : lorsque les intervenants sont passionnants, les discussions le sont tout autant ; mais dans le cas où l’on a affaire à des débats redondants, on peut aussi se surprendre à regarder sa montre. Toujours est-il que ce sont cette durée extrême et cette façon de nous immerger pleinement dans un quotidien, sans condescendance et avec douceur, qui font que l’on se sent partie intégrante du quartier de Jackson Heights. Et l’on se surprend à le quitter en ayant presque les larmes aux yeux. (F.D.)
HEART OF A DOG de Laurie Anderson (Compétition). C’était la grande curiosité de la compétition : un long-métrage réalisé par Laurie Anderson – artiste complète, musicienne et épouse du défunt Lou Reed – et consacré à sa chienne Lolabelle (morte elle aussi). Heart of a Dog ment malheureusement un peu sur la marchandise. Plus que Lolabelle, c’est Laurie Anderson le sujet de ce home movie égocentrique – au premier sens du terme – où tout, des attentats du 11 septembre aux évocations du Livre des Morts tibétain, ramène systématiquement à l’auteure. Si les meilleures séquences sont effectivement celles dédiées à Lolabelle, le reste n’est qu’un autoportrait, certes créatif et doux, surtout avec la voix en off d’Anderson, mais dont on se demande s’il s’adresse à d’autres spectateurs qu’aux membres de la famille de la réalisatrice. (C.B.)
L’ATTESA de Piero Messina (Compétition). Voilà un premier film dont le postulat ressemble à s’y méprendre à une version de Je vais bien ne t’en fais pas avec Juliette Binoche dans le rôle de Kad Merad et Lou de Laâge dans celui de Mélanie Laurent (et quand on sait que la seconde a fait tourner la première dans Respire, le complot international n’est pas très loin). Le titre français du film qui nous intéresse ici est « L’Attente ». Et effectivement, on attend. Notamment qu’il se passe quelque chose, le réalisateur semblant s’intéresser avant tout à la composition de ses plans parfaitement léchés, quitte à ce que ceux-ci n’apportent rien en termes de narration. Dès lors, on ne sera pas étonné d’apprendre que Piero Messina a été assistant réalisateur de Paolo Sorrentino sur This Must Be The Place et La Grande Bellezza. On y retrouve cette même propension à créer du beau pour la beauté du geste, sans que l’intérêt du spectateur ne soit titillé. Au-delà d’une dimension christique, à travers une résurrection imaginée par le personnage de la mère (qui est elle-même filmée par moments telle la Vierge Marie), on peine à savoir de quoi le cinéaste souhaite exactement nous parler tant les silences faussement pesants qui emplissent son film paraissent artificiels. Dans les points positifs, on retiendra tout de même la prestation de Juliette Binoche qui se démène beaucoup (jusqu’à s’uriner dessus), ainsi que la bouche de Lou de Laâge qui est un vrai poème à elle toute seule. (F.D.)
MAN DOWN de Dito Montiel (Orizzonti). Vendu comme un film post-apocalyptique avec Shia LaBeouf, le film de Dito Montiel (Il était une fois dans le Queens) est en fait plus complexe que cela. En tout cas dans ses intentions, car pour ce qui est du résultat, c’est plutôt un joyeux foutoir, mêlant film de préparation militaire, drame familial et film de guerre. L’aspect post-apocalyptique est en fait secondaire, ce que le dernier tiers du film viendra confirmer. Sauf que les passages d’un genre à l’autre, d’une structure narrative à l’autre, sont particulièrement mal gérés par un montage sans queue ni tête. À vouloir traiter différents sujets à la fois, Montiel ne s’intéresse véritablement à aucun d’entre eux. C’en est même parfois gênant, notamment dans le segment impliquant Gary Oldman qui semble avoir tourné toutes ses scènes en une après-midi, assis derrière son bureau d’un hangar de Bucarest. Le film a l’allure d’un DTV, y compris au regard de ses effets spéciaux, que Montiel n’a aucune honte à étaler aux yeux de tous lors d’une embarrassante séquence explicative. Celle-ci l’est d’autant plus que 98% des spectateurs ont alors déjà saisi le twist dont le réalisateur semble pourtant si fier. On a donc l’étonnante sensation d’assister à la projection d’un téléfilm Asylum qui se prendrait au sérieux, et qui aurait miraculeusement eu droit à une présentation en grandes pompes dans l’un des festivals de cinéma les plus prestigieux du monde. Une étrangeté que l’on ne s’explique toujours pas. (F.D.)
MONTANHA de João Salaviza (Semaine de la critique). Une coming of age story qui nous vient du Portugal, où l’on suit l’histoire d’un garçon de 14 ans vivant avec son grand-père avant que celui-ci ne soit subitement hospitalisé. Pendant 90 minutes, la caméra ne lâche pas le jeune homme, que l’on va suivre au gré de ses errances dans son quartier. Il traine avec son meilleur copain, vole un scooter, tourne autour d’une jolie voisine. Des moments de vie peu palpitants, et malheureusement le film n’offre pas beaucoup plus que cela. On sent le cinéaste plus enclin à faire du cinéma d’auteur froid et désincarné, plutôt qu’un cinéma qui touche directement au cœur. La référence évidente du film étant l’inamovible Les 400 Coups de Truffaut, il est triste de voir que João Salaviza ne parvienne pas à donner de la chair à son récit, et ce malgré quelques séquences qui sortent le spectateur de la torpeur dans laquelle il est plongé (tel un travelling circulaire à la conclusion attendue mais joliment amenée). La plupart du temps, le réalisateur se contente de faire durer ses scènes plus qu’elles ne le méritent. On se demande si le format court n’aurait pas mieux convenu à Montanha. (F.D.)
NON ESSERE CATTIVO de Claudio Caligari (Hors compétition). Le film posthume de l’italien Claudio Caligari (décédé en mai 2015) raconte l’amitié au milieu des années 90 de Vittorio et Cesare, deux petites frappes, deux membres d’une bande de voyous qui fait dans le trafic de drogues et les larcins en tous genres. Si les parcours des personnages restent classiques dans leur cheminement (l’un cherche la rédemption, quand l’autre s’enfonce évidemment de plus en plus dans l’illégalité), c’est dans leur caractérisation que Caligari s’en sort le mieux. Aidé par une direction artistique convaincante (on se croirait véritablement en 1995) et d’excellents comédiens, on s’attache peu à peu à cette histoire d’une certaine jeunesse de l’Italie populaire, malgré quelques fautes de goût musicales (en Italie, on aime vraiment beaucoup l’Eurodance) et formelles (en particulier l’ultime séquence). Mais comme nous le conseille le titre original («C’est pas mal»), on n’a pas envie d’être trop méchant envers ce film honnête et plaisant. (F.D.)
PER AMOR VOSTRO de Giuseppe M. Gaudino (Compétition). En sortant de cette bizarrerie, on est persuadé d’une chose : rien de bon ne peut sortir quand on demande à une actrice de tourner sur elle-même, les bras tendus. L’actrice –Valeria Golino, dans le cas présent – aurait dû le dire à son metteur en scène ; il en aurait été de son devoir : « non, même en le passant au ralenti, avec des images saccadées comme tu veux le faire, non, ça ne marchera jamais ». Effectivement, ça ne marche pas. Sauf sur le jury de la Compétition qui, sur ce coup, a versé son obole à l’Italie en récompensant la seule qualité de ce film nul, Valeria Golino, mais pour une performance dont l’actrice italienne n’aura pas de quoi être fière. Per amor vostro est en noir et blanc parce que – c’est Giuseppe Gaudino, le réalisateur, qui le dit – la vie de son héroïne, Anna, manque de couleurs. Quand on part sur de telles bases, on ne peut aller que vers le pire… Et ce pire ne tient pas à l’histoire, très honorable – Anna est oppressée par les gens que son mari, prêteur sur gages, met à la rue, et s’entiche de l’acteur de soap pour lequel elle travaille – mais à toutes ces scories visuelles qui la pourrissent, ces effets spéciaux qui feraient passer le fils dégénéré de Photoshop et After Effect pour un Adonis, ces enluminures ajoutées sous nos yeux à l’occasion d’arrêts sur images faits pour sanctifier Anna ; etc.. Per Amor Vostro n’est pas le plus mauvais film vu à Venise en 2015, mais c’est assurément le plus laid. (C.B.)
SPOTLIGHT de Thomas McCarthy (Hors compétition). De ce réalisateur américain, on se souvient notamment de The Visitor (2007, avec Richard Jenkins), ainsi que de son très beau et singulier premier long-métrage The Station Agent (2003, avec Peter Dinklage). En 2015, le voilà de retour avec un film d’investigation au savoir-faire indéniable et typiquement hollywoodien, mais classique. Trop classique. Le sujet était pourtant passionnant : en 2010, une équipe de journalistes du Boston Globe dévoile une affaire sordide de pédophilie impliquant près d’une centaine de prêtres aux Etats-Unis. Une sorte d’ode au journalisme et à son utilité, voire sa nécessité. Sauf que dans la forme, on a le sentiment tenace d’avoir déjà vu ça 250 fois, la mise en scène de McCarthy (que l’on a connu plus inspirée) étant réduite au strict minimum, obnubilé qu’elle est de vouloir placer son récit et ses acteurs au premier plan. Ces derniers sont excellents (en particulier Michael Keaton et Mark Ruffalo), mais le scénario légèrement paresseux, suivant un schéma narratif classique balisé, ne surprend jamais (une séquence de montage sur l’enquête qui avance rondement, des cartons finaux explicatifs, une partition musicale signée Howard Shore qui donne l’impression que le compositeur s’est endormi sur son piano). Le film avance sur des rails, sans ne jamais oser faire un pas de côté, et pourtant il se rêve en Les Hommes du président pour le XXIème siècle. Sauf qu’il n’en a ni les qualités d’écriture, ni la maestria de la mise en scène. Alan J. Pakula peut dormir tranquille. (F.D.)
TAJ MAHAL de Nicolas Saada (Orizzonti). L’un des accidents de la Mostra. Pour dire les choses simplement, on reproche à Taj Mahal la même chose qu’à The Impossible : poser un regard d’occidental sur des personnages occidentaux pris dans une tragédie qui dépasse pourtant largement leur condition d’occidental. Faut-il alors s’interdire certains personnages, sous prétexte qu’ils ne sont pas représentatifs de la majorité en souffrance ? Non, mais quand on choisit d’aller outre, il faut du tact (le film n’est pas réellement à blâmer sur ce point, lui au moins s’attarde dans le pays blessé, pas comme le faisait The Impossible) et surtout une efficacité suffisante pour impliquer le spectateur et l’empêcher de farfouiller dans les recoins idéologiques les plus gênants. Taj Mahal met en scènes l’attaque terroriste sur Mumbai en 2008, du point de vue de Louise (Stacy Martin, qui parle très bien notre langue), une ado française seule dans sa suite, forcée de se cloîtrer pendant que les tueurs se déploient dans son hôtel. Il y a un long moment, façon Buried, où nous ne percevons de l’extérieur que les détonations et les cris, où les seules infos qui percent sont transmises par téléphone (Louise ne lâche pas son mobile). Et patratas ! Voilà que ces séquences alternent avec d’autres à l’extérieur où les parents de Louise cherchent à regagner l’hôtel, charriant avec elles ce que Louis-Do de Lencquesaing peut avoir de plus antipathique (tout juste s’il n’engueule pas sa fille au téléphone) et ce que la perspective des retrouvailles a de moins pertinent (on n’attend pas particulièrement les retrouvailles père-fille puisqu’elles ne viennent pas valider une quelconque réconciliation ou un pardon mutuel, comme c’est le cas dans le plus banal des films-catastrophe). On se rend compte à la fin que l’attaque terroriste occupait tout au plus un tiers de Taj Mahal, faisant alors apparaître le film – qui s’étire déjà difficilement sur seulement 89 minutes – pour un court-métrage dilué afin de devenir long. (C.B.)
TEMPETE de Samuel Collardey (Orizzonti). Party Girl avec un marin-pêcheur à la place de l’entraîneuse de bar : voilà comment on pourrait résumer rapidement Tempête. Le père, la fille et le fils y interprètent leurs propres rôles ou presque, au sein d’une famille sur le point de perdre le peu de stabilité qu’il lui reste, à cause des absences prolongées du paternel, forcé de partir longtemps en mer pour gagner sa croûte. Dans son rôle principal, Dominique Leborne est épatant et son prix d’interprétation de la sélection Orizzonti – où le film était présenté – est amplement mérité. C’est même une performance si on considère que se jouer à l’écran est aussi dur que de jouer un autre. Tempête souffre toutefois d’un excès de modestie. Les personnages sont forts, leur histoire l’est moins ; un peu comme ses récits de vies publiés à compte d’auteur, importants pour ceux qui les ont vécues mais pas pour les lecteurs. Surtout, on ne peut s’empêcher de se demander si le réalisateur, Samuel Collardey, n’a pas fait une petite erreur en s’attachant au père plutôt qu’à sa fille, beau personnage tragique aussi, plus encore même. Le film n’a pas l’envergure de Party Girl au final, mais arrive à produire d’intenses émotions avec peu de choses. (C.B.)
THE ENDLESS RIVER d’Oliver Hermanus (En compétition). Ce drame sud-africain avec Nicolas Duvauchelle est l’exemple typique du film qui démarre bien, avant de se déliter au fur et à mesure pour finir par totalement exploser dans ses derniers instants. Vincent (Duvauchelle) vit donc en Afrique du Sud avec sa petite famille, avant que sa femme et ses deux enfants ne soient tués par un gang mystérieux. Vincent est triste, alors il pleure beaucoup. Et ce n’est pas l’enquête, menée par l’un des inspecteurs les plus incompétents vus depuis longtemps, qui risque de le réconforter. C’est à partir de là que le film se met lentement à se liquéfier, jusqu’à n’être plus qu’un amoncellement de séquences sans intérêt, étirées jusqu’à l’écœurement. Lorsque les personnages s’adressent la parole, après de longs moments de silence (car c’est un film où l’on prend tout son temps avant de parler, même pour dire bonjour), c’est l’inanité des dialogues et des situations qui sautent aux yeux. Étant donné le sérieux et l’aplomb avec lesquels Oliver Hermanus traite son sujet, c’est sans surprise que le film s’est fait copieusement huer en fin lors de sa projection. (F.D.)
VIVA LA SPOSA d’Ascanio Celestini (Venice Days). Présenté à Venice Days, la plus petite des sections du festival, Viva la sposa voit son humilité devenir sa principale qualité, par opposition aux machines de guerre de festival que le cinéma italien s’est dernièrement mis à produire à la chaîne (Youth et Tale of tales à Cannes, A bigger splash ici à Venise). Le réalisateur, scénariste et interprète principal Ascanio Celestini se situe aux antipodes de cette manière de concevoir et de pratiquer le cinéma. Son film tient la chronique du quotidien d’une poignée d’habitants d’une banlieue lointaine et en piètre état de Rome, où il s’agit pour eux d’assaisonner les restes dans tous les domaines – boulot, logement, argent, même la vie de couple et la constitution d’une famille. Sans attraits particuliers dans sa mise en scène, ou son scénario (reprenant des motifs courants du cinéma italien, entre autres celui de la télévision vendant un rêve en complet décalage avec la réalité vécue par ceux qui la regardent), Viva la sposa s’attire notre sympathie par sa façon de faire corps avec ce que ses protagonistes vivent, les combines minables et ingénieuses, les journées au mieux moroses (quand aucun malheur ne vient vous frapper), le souci de conserver un minimum de dignité. L’humanité de ce petit film faisait d’autant plus de bien dans un festival rempli d’œuvres qui considéraient que ce n’était pas la peine de s’encombrer de ce trait de caractère. (E.D.)
WEDNESDAY, MAY 9TH de Vahid Jalilvand (Orizzonti). Retenu dans la section Orizzonti, ce premier long-métrage de l’iranien Vahid Jalilvand ne démérite pas mais se montre limité sur trop d’aspects. L’intrigue est intéressante (on suit un homme qui passe une annonce dans le journal pour faire don d’une importante somme d’argent et deux « candidates » à ce don), de même que la manière dont le film aborde indirectement des points de friction de la société iranienne (entre autres, la difficile mais nécessaire émancipation des femmes du joug des hommes). Malheureusement l’exécution n’est pas à la hauteur des intentions, à tous les niveaux. Le scénario s’encombre d’un dispositif avec flashbacks et changements de point de vue qu’il a du mal à gérer, la réalisation est elle aussi en-deçà des enjeux qu’elle devrait porter (la tension des conflits, l’émotion des drames vécus par chacun), les interprétations des comédiens sont trop inégales et peu convaincantes. Celles des acteurs le sont d’ailleurs nettement moins que celles des actrices, ce qui, compte tenu du parti-pris de Wednesday, May 9th en faveur des femmes, pourrait presque être vu comme une décision délibérée. (E.D.)
La 72ème Mostra de Venise s’est déroulée du 2 au 12 septembre 2015.