THE TALE OF TALES n’est-il fait que pour plaire à Guillermo del Toro ?

Une reine est prête à tout pour avoir un enfant, un roi adopte une puce comme animal de compagnie, deux sœurs vieilles et hideuses essaient de retenir un souverain séduit par leurs voix : après Gomorra et Reality, l’italien Matteo Garrone confirme qu’il veut plus que tout ne jamais faire deux fois le même film, en adaptant cette fois des contes du 16ème siècle. Il évite la suite de sketchs mais se perd dans son aventure, faute de prouver en quoi il était nécessaire pour lui de la raconter.  

Pourquoi ? C’est la première question qui vient à l’esprit une fois sorti de The Tale of Tales, tant le nouveau Garrone a quelque chose de vain. On se demande rarement quelle utilité à un film, s’il a une fonction ou s’il répond à un besoin. Quand elle éclate, la question se pose donc avec d’autant plus d’insistance. Qu’est-ce qui a poussé Garrone à adapter aujourd’hui, en 2015, des contes du début du 16ème siècle, à les coudre les uns aux autres (trois contes choisis dans l’œuvre du poète Basile pour n’en faire qu’un gros dont la suprématie – on est censé être face au « conte des contes » façon « un seul les réunira tous » – nous échappe) ? Il y avait là matière à éclairer notre actualité ? On se pince quand on lit dans le dossier de presse la note d’intention de Garrone, signalant que quatre siècles avant nous, la chirurgie esthétique faisait déjà des ravages (pour ne pas décevoir le roi qui fantasme sur elle, une vieille et affreuse dame cache ses difformités au prix des pires mutilations). Ce serait ça le propos de The Tale of Tales, nous dire qu’en quatre siècles, les choses ont peu changé, les grandes histoires sont éternelles et les maux de l’Homme ne varient pas, etc. ?

Au service de quoi est ce fantastique ?

Garrone est forcément plus intelligent que ça, plus pertinent. Un film patrimonial alors ? Une obole versée à la culture italienne, un hommage à sa littérature féérique primordiale, celle d’avant les frères Grimm ou Charles Perrault ? The Tale of Tales n’a pas la richesse, ni le souffre du Décaméron de Pasolini. On ne va pas reprocher à Garrone de ne pas être Pasolini, surtout qu’il est tout de même un peu Cronenberg (une puce – l’insecte – grossit jusqu’à devenir une bête que n’aurait pas renié Le festin nu) et aussi un peu Guillermo del Toro (des créatures étranges partout), juré de Cannes 2015, ce qui n’est pas si mal. Mais au service de quoi est ce fantastique ? Le dépaysement ? Il y a une beauté évidente (musique, photographique), même si irrégulière, et malheureusement une impression de lourdeur, comme si chaque séquence faisait le poids de trois séquences cumulées d’un film standard. The Tale of Tales est inhabituel, surtout parce que ses qualités (en particulier sa capacité à créer beaucoup avec peu) autant que ses défauts l’imposent comme une aventure à destination des adultes, et pas du tout des enfants, sans pour autant céder à l’heroic fantasy geek (limitations techniques ou engagement esthétique, les effets spéciaux ne se veulent pas réalistes) ou à la politique politicienne de Game of Thrones. Inhabituel, comme une boussole déréglée qu’on aurait vraiment aimé voir indiquer le Nord plutôt que tous les points cardinaux alternativement.

THE TALE OF TALES (Il racconto dei racconti, Italie, 2015), un film de Matteo Garrone, avec Salma Hayek, Vincent Cassel, Toby Jones, John C. REilly, Stacy Martin. Durée : 120 min. Sortie en France le 1er juillet 2015.