Johnny Depp joue le rôle d’un glaçon dans STRICTLY CRIMINAL et ça lui va bien
A Boston, dans les années 1980, un malfrat profite d’un deal avec le FBI pour chasser la mafia et prendre sa place : bizarrement foutu avec sa narration changeante et ses stars cantonnées à des apparitions, Strictly criminal produit par à-coups de bons petits chocs thermiques quand il laisse à Johnny Depp le soin de refroidir l’atmosphère.
La méchanceté va bien à Johnny Depp. La vraie méchanceté, pas l’édulcorée que lui fait jouer Tim Burton, ni celle du bouffon Jack Sparrow, ou du trafiquant pas-gentil-mais-qui-aime-ses-enfants de Blow, non. La gratuite, la criminelle, la sadique. Il aura fallu attendre Black Mass (Strictly Criminal en VF…) pour le voir et le croire. Depp y incarne un dangereux salopard ayant vraiment existé, James « Whitey » Burger, un chef de pègre dont l’amour pour sa veille maman ne l’empêchait pas de fracasser les crânes de ses potes de Boston. Ce n’est pourtant pas cette dualité qui fait briller Depp, mais bien la bonne grosse trouille qu’il suscite en deux scènes.
Dans la première, il est à table avec un agent du FBI. L’homme est un partenaire puisque Burger est officiellement considéré comme un indic’, statut dont il abuse pour gérer son affaire, avec la bienveillance d’un autre agent du FBI, John Connolly (Joel Edgerton), lui aussi à cette table. On parle steak, Burger obtient gentiment de son interlocuteur sa fameuse recette de cuisine – pas n’importe laquelle, une recette de famille -, avant de lui faire comprendre que s’il balance aussi facilement un secret de famille, c’est qu’il n’est pas digne de sa confiance. En dépit des dents artificiellement pourries de Depp, des lentilles bleu clair qui rétrécissent ses pupilles et lui donnent un air de serpent, la scène fonctionne (d’ailleurs, tout cet attirail le fige et l’empêche d’en faire trop ; il devrait jouer sous camisole, Johnny). On sent la température tomber d’un coup, malgré la chaleur de la lumière, du moment, des verres de vin rouge.
Vieilli par un maquillage blafard, Depp ressemble à un vampire ou à un Willy Wonka décati, sorti depuis tellement longtemps de sa chocolaterie que sa misanthropie a tourné à la psychopathie.
Voilà à quoi sert Depp dans Black Mass : d’énorme glaçon, de corps capable de transformer d’un coup une scène ordinaire en petit théâtre de chambre froide. Et cinq minutes après ce moment, il remet ça. Frustré de ne pas avoir à table la femme de Connolly, sur laquelle il a des vues, il va frapper à la porte de sa chambre, la sort de sa lecture de L’Exorciste comme s’il était lui-même le démon du bouquin, puis pose sa main sur son front, sa nuque, palpe son cou, l’ausculte avec l’insistance brutale d’un médecin-étrangleur. Vieilli par un maquillage blafard, Depp ressemble à un vampire ou à un Willy Wonka décati, sorti depuis tellement longtemps de sa chocolaterie que sa misanthropie a tourné à la psychopathie.
S’il n’était la volonté de Scoot Cooper, réalisateur de Crazy Heart notamment, de tout surligner, même discrètement, avec une note aiguë tenue comme si le type au synthé faisait une crise de tétanie sur son clavier, on ressentirait l’étouffement qui gagne alors la proie de Burger. Surtout qu’on peut craindre ce personnage à loisir, sans lui chercher d’excuses, puisqu’il est central, certes, mais n’est pas le plus important à l’écran. Le plus intéressant, c’est ce Connolly flic et voyou qui, à force d’arrangements avec la morale et la nécessité, se retrouve de l’autre côté de la vitre sans tain. Dommage alors que Cooper n’ait pas poussé le pacte faustien jusqu’au bout et fait de son voyou un véritable diable. La nuance et les contradictions ne vont pas bien au personnage de Burger, dont le caractère unilatéralement méchant n’aurait dû faire l’objet d’aucun compromis, surtout au regard des ambiguïtés déjà suffisantes de son alter ego justicier. Le but était peut-être de priver Depp d’un personnage trop extrême afin de lui éviter d’accomplir un numéro d’acteur comme il en a pris l’habitude. Plus sûrement, et vu les faux départs de l’histoire, on suppose que Black Mass s’est fait chronologiquement au montage et que ses constructeurs n’ont trouvé la bonne formule qu’à la fin, sans avoir le courage ou le temps de tout reprendre depuis le début.
STRICTLY CRIMINAL (BLACK MASS, Etats-Unis, 2015), un film de Scott Cooper, avec Johnny Depp, Joel Edgerton, Kevin Bacon, Benedict Cumberbatch, Jesse Plemons, Dakota Johnson. Durée : 122 minutes. Sortie en France le 25 novembre 2015.