EXTRAORDINARY TALES, cinq fois plus de Poe avec Christopher Lee, Guillermo Del Toro et… Bela Lugosi

On a tous tremblé d’effroi à la lecture de nouvelles signées Edgar Allan Poe, et été envoûté par la science du verbe détenue par ce dernier, qui lui permettait de transformer la littérature en magie noire. Certains d’entre nous ont la chance de savoir dessiner, et de pouvoir ainsi coucher sur l’écran de cinéma les visions extraordinaires que leurs inspirent ces contes macabres. C’est le cas de l’espagnol Raul Garcia, qui a composé cinq symphonies de terreur et d’angoisse à partir d’autant d’histoires du romancier.

Les récits en question comptent parmi les classiques plus oppressants : La chute de la maison Usher, Le cœur révélateur (The tell tale heart), La vérité sur le cas de M. Valdemar, Le puits et le pendule et Le masque de la mort rouge. Chacun est adapté dans un style graphique particulier, et si distinct de tous les autres qu’on en viendrait presque à douter qu’un seul et unique réalisateur les a tous supervisés. A l’exception du Masque de la mort rouge, tous nous sont racontés en voix-off, par un narrateur prestigieux : Christopher Lee, Guillermo Del Toro, Julian Sands et… Bela Lugosi. Raul Garcia et son producteur Stephan Roelants ont déniché un enregistrement audio d’une lecture habitée de l’histoire Le cœur révélateur par Lugosi, et ont construit autour de ce trésor le premier de leurs cinq sketches, dans un noir et blanc agressif et déstabilisant à souhait.

Extraordinary tales vise avant tout l’hommage, appliqué et sincère, doublé du plaisir communicatif de l’exercice de style animé

Dans Le cœur révélateur comme dans les trois autres segments avec narration, une harmonie remarquable est trouvée entre la voix-off, la musique, et les images venant illustrer les mots ; avec l’aspect visuel venant toujours en troisième position seulement. Chaque court-métrage tire sa force avant tout du son, et de la prose de Poe, logiquement mise en avant. Garcia a l’humilité d’être conscient que ce que Poe est parvenu à éveiller avec son art est inégalable, voire inadaptable – la seule limite de ces Extraordinary tales est qu’à chaque fois que l’un s’achève, on se dit qu’il nous a moins affolé et pétrifié que la lecture de l’original sur papier. Garcia vise avant tout l’hommage, appliqué et sincère (les transitions – inédites pour le coup – d’un sketch à l’autre, qui prennent la forme d’un dialogue entre Poe et la Mort incarnés par un corbeau et des statues, sont très belles et émouvantes), doublé du plaisir communicatif de l’exercice de style animé.

Le réalisateur déroge donc une seule fois à sa règle, en clôture de programme pour Le masque de la mort rouge. Sans narration, cet ultime film devient une création plus abstraite que les précédentes, où le brassage des couleurs et des formes permis par le choix de l’aquarelle fait passer le propos de Poe par une voie plus symbolique. La prose laisse la place à la poésie, l’illustration à un travail d’adaptation plus marqué. Cela fait une corde de plus à l’arc du film, et du studio qui l’a développé – Mélusine Productions, à qui l’on doit déjà Ernest et Célestine, Le chant de la mer. Qu’ils prennent pied dans l’animation adulte, artistiquement et thématiquement ambitieuse, en plus de leurs réussites tout public, est une très bonne nouvelle.

EXTRAORDINARY TALES (Luxembourg, Belgique, Espagne, Etats-Unis, 2014), un film de Raul Garcia, avec les voix de Christopher Lee, Bela Lugosi, Julian Sands, Guillermo Del Toro, Roger Corman. Durée : 73 min. Sortie en France indéterminée.