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Du bon et du moins bon parmi les films vus et non-chroniqués dans nos colonnes. Des femmes en manque de sexe qui rêvent de fantômes lubriques, des voleurs de moto en Ouganda, Eisenstein sodomisé par un Mexicain bien membré, un portrait de Jia Zhang-Ke par Walter Salles, Léa Seydoux en orpheline vampire, Aubrey Plaza en fan de poésie, et des nuages électriques venus de Russie : passage en revue et en notules de 12 films parmi les 400 présentés à la 65ème Berlinale.
ANGELICA de Mitchell Lichtenstein. Le réalisateur du très bon Teeth gâche un matériau tout aussi intéressant (et sur un sujet très proche, de vagin transformé en « jardin clos », dans l’Angleterre victorienne corsetée et figée) et de beaux personnages féminins, en évitant consciencieusement de creuser tout ce qui pourrait constituer un développement valide – de l’intrigue, du suspense, du malaise, de la psychologie, du fantastique (cette vision qui hante l’héroïne et qu’on dirait sortie d’un travail préparatoire des effets spéciaux pour La Momie…). Le film s’en retrouve inexplicablement vide, de toute substance. Pourtant il y avait bien là des choses à dire, à montrer, à bousculer.
AS WE WERE DREAMING d’Andreas Dresen. De ce réalisateur allemand, on connaissait la dureté des sujets et le style sec proche du documentaire : 7ème ciel et ses scènes de jambes en l’air entre seniors ; Pour lui et son malade d’une tumeur incurable au cerveau. On reste dans le gris, mais dilué. As We Were Dreaming s’apparente à un mélange de Péril jeune et de Trainspotting prémâché pour le spectateur. Le film s’adresse-t-il à un public aussi jeune que ses héros, une bande d’ados paumés qui, en vieillissant, éprouve une nostalgie inexplicable pour sa jeunesse pourrie ? Tout est balisé à l’excès, bien chapitré comme un guide Pour les Nuls (toutes les 10 minutes, on incruste un titre tapageur pour s’assurer que le spectateur va bien pouvoir anticiper les 10 prochaines minutes). Une scène s’avère représentative de l’inanité du film : coursé par des néo-nazis, le personnage principal – un salaud parmi d’autres, personne n’est à sauver – se réfugie chez une MILF chaude comme la braise (le contenu d’une casserole bout sur la cuisinière, c’est pour ça qu’on le sait). Cliché ! Oui mais non, au dernier moment, notre héros s’éclipse. Et on ne sait pas pourquoi. Ce n’est pas un contrepied, c’est une manière de jouer sur les deux tableaux (le prévisible et l’audacieux), pour finalement perdre sur les deux (non seulement on n’a pas évité le cliché, mais en plus, il n’est pas mené à son terme et nous frustre). Tout le film est comme ça, parsemé d’événements qui sont autant d’impasses narratives, de péripéties avortées et sans conséquence. Si Andreas Dresen croit que c’est malin, il se trompe. Au fait, l’action se passe en Allemagne de l’Est, avant la chute du Mur, mais ça n’a strictement aucune incidence sur l’histoire ; ce qui est dramatiquement bête.
THE BODA BODA THIEVES de Yes ! That’s Us (véridique, c’est comme ça que le film est crédité). Il vient d’Ouganda et nous rappelle que le mauvais cinéma n’a pas de frontières, mais qu’il a parfois des circonstances atténuantes. Dans un bon jour, on pourrait passer outre le mixage sonore désastreux qui fait ressembler l’ensemble à un film muet d’antan qu’on aurait maladroitement sonorisé. Difficile en revanche d’épargner la faiblesse narrative, malgré la référence revendiquée au Voleur de bicyclette… Une « boda boda », c’est une moto-taxi. Le jeune héros hérite de celle de son père après l’accident de ce dernier, seulement lui, il s’en sert pour commettre des larcins. Jusqu’au jour où il se la fait voler. Comment ? On s’en moque, jusqu’à ce qu’on comprenne dix minutes avant la fin, par la grâce d’un flashback tombé du ciel, que tout le noeud de l’histoire tient à ce « comment ». Les mensonges par omission, ça passe parfois, à condition d’avoir la manière (voir Une séparation). Dans le cas présent, c’est aussi dommageable que si dans The Yards par exemple, on nous privait de la scène de meurtre près de la voie ferrée, et qu’on voyait Wahlberg et Phoenix se défier pendant 90 minutes sans qu’on comprenne pourquoi.
EISENSTEIN IN GUANAJUATO de Peter Greenaway. Le légendaire réalisateur de La grève, Octobre et Le cuirassé Potemkine débarque dans la ville de Guanajuato pour y tourner ce qui deviendra Que viva Mexico. Dans cette regrettable évocation, Greenaway se concentre sur ce qu’il croit être un aspect essentiel de la vie et de l’oeuvre d’Eisenstein : ses dessins lubriques et son homosexualité à laquelle le réalisateur anglais n’apporte jamais une touche de sensualité ou d’émotion. Sa première expérience sexuelle – à l’huile d’olive – est montrée non pas comme une révélation intime mais comme une performance – celle d’un homme qui a repoussé ses limites, celle d’un Greenaway satisfait de lui. La réflexion sur le cinéma, à laquelle Eisenstein a grandement contribué, se résume à du name-dropping, avec illustrations à l’image façon Powerpoint (je cite Chaplin, je te le montre). La mise en scène est ringarde, boursouflée avec ses splits-screens inutiles, ses mouvements de caméra superflus. La bouffonnerie d’Eisenstein n’est pas sans faire penser à celle de Mozart dans Amadeus. Au début du moins, avant qu’on comprenne rapidement que le film de Greenaway délaisse le génie pour la vulgarité.
END OF WINTER de Kim Dae-hwan. Bon point de départ : une famille se réunit pour fêter le vieux père envoyé à la retraite, et le vieux père en question annonce à son épouse et au sien qu’il divorce. Scandale, mais la neige tombe et le petit groupe se retrouve forcé de cohabiter avec l’acariâtre dont on ne sait pourquoi il tient tant à tout envoyer balader… C’est la force et la facilité du film, ce mystère quant aux motivations du protagoniste. Sa force, parce qu’elle donne à End of Winter une sobriété et une subtilité qui changent de l’hystérie trop fréquemment croisée dans le cinéma sud-coréen. Sa facilité, parce nous ne sommes pas face à un drame psychologique véritablement complexe, mais plus simplement à un film basé sur la rétention d’informations, dont le réalisateur semble croire qu’il suffit de cacher pour intéresser. On pense pendant longtemps que End of Winter ne dit pas grand-chose parce qu’il est peu disert, avant de constater qu’il n’a en fait pas grand-chose à dire. C’est triste, mais ça ne doit pas enlever tout mérite à ce premier long-métrage au sujet original, dont l’atmosphère ouatée contraste agréablement avec la violence des sentiments.
IXCANUL de Jayro Bustamente. Un énième avatar anodin du cinéma du monde, ici au Guatemala. Toujours les mêmes éléments (communauté indigène, décor fort (un volcan), éveil individuel vs. contraintes socioéconomiques, coutumes indigènes vs. mondialisation subie), mise en scène qui ne s’anime que trop rarement, et cette impuissance narrative à aller plus loin que son point de départ.
JIA ZHANG-KE, A GUY FROM FENYANG de Walter Salles. Un portrait du cinéaste chinois par son confrère brésilien. Le résultat est malheureusement bien un film de Salles, plutôt que de Jia. Ni présent : jamais un dialogue fécond ne s’instaure entre les deux hommes. Ni absent : le documentaire ne dévie jamais de son programme conventionnel, qui entraîne un montage rigide entre extraits de films de Jia et anecdotes superficielles. Une occasion gâchée de faire parler le cinéaste de son art ou de son pays.
LE JOURNAL D’UNE FEMME DE CHAMBRE de Benoît Jacquot. Dans ses scènes les plus inspirées, cette nouvelle adaptation du roman d’Octave Mirbeau ressemble à du Claude Chabrol piraté par Dario Argento, une chronique acerbe de la bourgeoisie de province parsemée de giallo, où les rapports de force entre dominants et dominés passent aussi bien par des répliques cinglantes que par des zooms étranges. Le pic est atteint lors d’un long flashback, quand Célestine (Léa Seydoux) consent à chevaucher le tuberculeux jeune homme dont elle s’occupe et que le malheureux lui crache son sang à la figure. Voilà la femme de chambre devenue une sorte de veuve vampire, une pure image fantastique à ranger en bonne place parmi les images fortes à retenir de cette Berlinale. Dommage que le nouveau Benoît Jacquot reste un film de course d’élan et jamais de grand saut, une succession de coitus interruptus – à l’image de la fameuse scène vampirique d’ailleurs – où la montée du plaisir donné par chaque séquence ne va jamais à son terme. Cela ne prive heureusement pas l’ensemble d’une intensité à mettre au crédit des remarquables comédiens (notamment ce plan-séquence montrant la cuisinière se confier à Célestine) et de la mise en scène volontairement inconfortable de Jacquot.
NASTY BABY de Sebastian Silva. Nouvelle frontière new-yorkaise, Brooklyn voit cohabiter l’escouade d’éclaireurs de l’armée des hipsters avec les derniers bataillons des classes populaires qui occupaient originellement les lieux. Le phénomène de gentrification à l’œuvre ici, comme dans tous les quartiers en friche des métropoles de par le monde, est la version moderne de l’éradication des indiens par les colons dans les westerns. Silva met en scène ce processus tel qu’il est véritablement : sauvage et sans merci. Les hipsters (Silva lui-même en caricature d’artiste contemporain, Kristen Wiig, et le chanteur de TV On The Radio) sont clichés, imbus d’eux-mêmes, alors qu’en face les pauvres sont forcément dérangeants et violents aux yeux des premiers. Leur fausse cohabitation/vraie confrontation va évidemment mal finir, au terme d’un conte grinçant, puissant, réjouissant.
NED RIFLE d’Hal Hartley. Cela faisait bien longtemps qu’un film d’Hal Hartley n’était arrivé jusqu’à nous. Kickstarté en partie, Ned Rifle est le dernier volet d’une trilogie entamée avec Henry Fool en 1997, poursuivie par Fay Grim en 2006. Ne pas avoir vu les deux précédents ne nuit pas au plaisir que l’on prend devant Ned Rifle, dont la seule véritable faiblesse est de ne pas avoir un dénouement à la hauteur de son histoire. Son héros éponyme a une idée en tête : tuer son père – un sale type qu’il n’a pas vu depuis des années – parce qu’il le juge seul responsable de l’incarcération à perpétuité de sa mère, coupable de haute trahison (elle serait une terroriste). Ca peut sembler sinistre résumé ainsi, mais ça ne l’est pas. La cocasserie est partout, les dialogues sont d’une richesse savoureuse, la trame se tisse de manière imprévisible grâce au personnage d’Aubrey Plaza qui prend une épaisseur inattendue, passant de partenaire du héros à véritable protagoniste. Dommage qu’à force de promesses et de perspectives toujours plus excitantes, tout cela ne retombe tel un soufflé, comme si Hal Hartley se révélait finalement incapable de tenir ses ambitions.
SANGAILÉ d’Alanté Kavaïté. Le temps d’un été, une histoire d’amour fusionnelle entre deux adolescentes qui donne un vrai film de fille (dans le bon sens du terme) comme c’est trop rarement le cas. C’est aussi un film d’été, de chair et de sensations, d’émotions complexes. Sangailé a des airs de Vie d’Adèle, en plus doux, plus simple. On est en terrain connu, mais filmé avec une flamme qui le rend comme neuf, et deux actrices très touchantes.
UNDER ELECTRIC CLOUDS d’Alexey German jr. Une nouvelle victime du programme imposé du cinéma russe, qui contraint ses réalisateurs à s’engager dans l’édification d’œuvres monumentales : décors immenses, plans-séquences sophistiqués, théâtralité affichée, asservissement des individus au message, pourtant lui-même jamais très travaillé. L’affirmation terminale (et rabâchée par bien d’autres que German avant lui), c’est que la Russie est finie, foutue. Le propos écrase les personnages et les idées narratives ou formelles du film. Lequel, avec un peu plus de liberté, pourrait s’engager dans la voie de la science-fiction ; au lieu de s’effondrer sous le poids bien trop lourd qu’il tente de soulever.
La 65ème Berlinale s’est déroulée du 5 au 15 février 2015.