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Avant de plier bagages et de débarquer dans le grand froid berlinois, la rédaction d’Accréds a élaboré un plan d’attaque. Si les gros titres de la sélection officielle font envie – qui ne voudrait pas s’incruster dans le « Grand Budapest Hotel » de Wes Anderson ? – il est bon de rappeler qu’à la Berlinale, la vérité est souvent ailleurs, dans les sélections parallèles Panorama et Forum. On parie ?
AIMER, BOIRE ET CHANTER d’Alain Resnais (Compétition)
Derrière ce titre très beau, comme toujours, se cache le dix-neuvième long-métrage d’Alain Resnais, au rythme quasi métronomique d’un tous les trois ans – quelque peu accéléré cette fois, puisque moins de deux années se sont écoulées depuis le précédent Vous n’avez encore rien vu. Qui était passé par Cannes, comme Les herbes folles avant lui, tandis que pour Cœurs c’est à Venise que Resnais avait posé ses valises. Il faut donc remonter aux années 1990 pour trouver trace d’un passage du cinéaste à la Berlinale ; de deux passages en réalité, avec Smoking / No smoking (1994) et On connaît la chanson (1998), tous deux récompensés par des Ours d’argent avant de triompher aux César et dans les salles. Pour Aimer, boire et chanter, Resnais renoue avec une pratique initiée à l’occasion de Smoking / No smoking : adapter une pièce de théâtre d’Alan Ayckbourn. Cette fois il s’agit de Life of Riley (titre international du film d’ailleurs), création très récente puisque datant de 2010. Pour Cœurs, il avait déjà procédé pareillement : le film de 2006 provenait d’une pièce d’Ayckbourn de 2004. Évidemment chez Resnais, on retrouve Sabine Azéma et André Dussollier – mais pas Pierre Arditi. Sandrine Kiberlain, Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz seront également de la fête.
ARRÊTE OU JE CONTINUE de Sophie Fillières (Panorama)
Un titre à la con et bien de chez nous ? Du genre Tu vas rire mais je te quitte, Pars vite et reviens tard, J’ai oublié de te dire, J’veux pas que tu t’en ailles, J’attends quelqu’un, Ce soir je dors chez toi, Je crois que je l’aime, etc ? Il y a de ça, oui. Sauf que dans les rôles principaux, on trouve Emmanuel Devos et Mathieu Amalric. Les deux ont du mal à se supporter et se demandent s’ils vieilliront ensemble : ça ne vous rappelle rien ? Troisième collaboration entre Devos et Sophie Fillières, Arrête ou je continue se veut doublement un film sur les rapports conjugaux et sur un couple de cinéma né dans Comment je me suis disputé…(1996), qui s’est retrouvé dans Rois et reine et Un Conte de Noël. On demande à voir, ne serait-ce que parce que Fillières a pensé très fort au romanesque d’Arnaud Desplechin. Alors qu’elle se balade avec Pierre en forêt, Pomme prend la décision de ne pas rentrer, de rester plantée là. Les prénoms des personnages principaux les lient à la nature, à quelque chose d’élémentaire. Walden ou la vie de couple ?
BOYHOOD de Richard Linklater (Compétition)
Depuis sa présentation à Sundance, Boyhood fait le buzz. Ce projet fou porte bien la marque de son réalisateur. Tel le démiurge de Truman Show, Richard Linklater a tourné pendant 12 ans avec le jeune Ellar Coltrane (au casting de Fast Food Nation…de Linklater, sorti en 2006). Boyhood représente au total 39 journées de travail auxquelles ont participé Lorelei Linklater, la fille du cinéaste, mais aussi Patricia Arquette et Ethan Hawke qui interprètent les parents divorcés de Mason, le petit garçon devenant adulte interprété par Coltrane. S’il fallait trouver un précédent à ce qui s’annonce comme une magnifique aventure, ce serait chez Linklater lui-même avec le triptyque romantico-existentialiste Before Sunrise, Before Sunset, Before Midnight réalisé entre 1994 et 2012. 9 ans séparent chaque volet. Julie Delpy et Ethan Hawke ont vieilli en même temps que leur personnage. Couvrant plus d’une décennie en seul film, Boyhood va boucher un trou, nous faire entrer dans un espace-temps parallèle : on va pouvoir voir comment Hawke-Jesse a changé entre Before Sunset et Before Midnight. Ordinaire et hors du commun.
IS THE MAN WHO IS TALL HAPPY ? de Michel Gondry (Panorama)
« An animated documentary film » : rien que par sa manière de se présenter, la nouvelle réalisation de Michel Gondry donne tout de suite envie. Ça marche aussi avec la version alternative – « an animated conversation with Noam Chomsky ». Après L’écume des jours, qui faisait lui-même suite à The we and the I, qui prenait lui-même la relève de The green hornet, Gondry change donc une fois encore du tout au tout ; ça donne encore plus envie. Ses deux précédents essais de longs métrages documentaires (L’épine dans le cœur, Block party) étaient de belles réussites : le compteur d’envie continue à grimper. Ah, et l’affiche est excellente elle aussi. Mais au fait, qui c’est Noam Chomsky ? Tout simplement un des intellectuels les plus importants de la seconde moitié du XXè siècle, et encore maintenant au début du XXIè. Un linguiste de génie doublé d’un militant iconique de la gauche, en première ligne de tous les combats depuis l’opposition à la Guerre du Vietnam jusqu’au mouvement Occupy en passant par l’altermondialisme. Autant dire qu’il y a dans sa tête et dans ses paroles plus que ce qu’il faut comme matière à un documentaire captivant.
JOURNEY TO THE WEST de Tsai Ming-liang
On pensait que c’était fini, et puis non: du rab de Tsai Ming Liang attendra à Berlin les festivaliers qui pensaient avoir fait leurs adieux au cinéaste avec le magnifique Stray Dogs. Ce sera donc Journey to the West (Xi You, Le Voyage en Occident), projeté en avant-première mondiale dans la section Panorama. Pas vraiment un retour donc, si l’on se dit que l’ouest reste l’endroit où le soleil se couche… On y retrouvera quand même l’acteur fétiche du réalisateur, Lee Kang-Sheng, ainsi que Denis Lavant, qui prolonge ses tribulations asiatiques après son apparition chez Kim Ki-Duk et le segment japonais de « Tokyo! ». Lee joue « le moine », Lavant joue « le dragon », la scène est à Marseille (le Sud pour les Français, mais l’Ouest pour les Chinois… vous suivez?), le tout est tiré d’un des plus grands classiques de la littérature chinoise, écrit vers 1590 par Wu Cheng’en. Il y est question d’un voyage, effectué vers le VIIe siècle pour Wu et de nos jours pour Tsai, du moine bouddhiste XuanZang. Dans le livre, l’Ouest s’arrête en Inde, pour le cinéma, Tsai Ming Liang l’étend à la patrie de ses coproducteurs. Vu le résumé qu’en fait Wikipédia, on a l’impression de lire le pitch du prochain Guillermo Del Toro : « Dans ce roman fantastique, le moine rencontre toute une série de monstres prêts à le dévorer pour obtenir l’immortalité car sa chair pure donnerait 10 000 années de vie à qui la mangerait. »
THE LITTLE HOUSE de Yoji Yamada (Compétition)
Pas très loin derrière Alain Resnais en termes d’âge (82 ans contre 91), et ayant réalisé son premier long-métrage à peu près en même temps (1961 contre 1959), le japonais Yoji Yamada a par contre pris une avance substantielle sur son confrère français en ce qui concerne le nombre de films : The little house est son soixante-dix-neuvième, selon le décompte d’IMDb. Seule une toute petite poignée d’entre eux sont sortis en France, dont deux coup sur coup – Le samouraï du crépuscule (2002) et La servante et le samouraï (2004) – mais aucun des six qu’il a faits depuis, y compris le dernier volet de cette belle trilogie réaliste, hors genre, sur l’existence des samouraïs au 19è siècle, alors que leur caste tombait en désuétude. À Berlin, c’est l’inverse. Toutes les œuvres de Yamada depuis Le samouraï du crépuscule y ont été montrées, et The little house marquera la neuvième venue du cinéaste en Allemagne, dont la cinquième en compétition – sans avoir glané de prix jusqu’à présent. Et de quoi ça parle ? Du récit de la vie d’une femme de chambre au service d’une famille tokyoïte avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale. C’est le premier mélo de la carrière de Yamada, et potentiellement un support à un film aux racines personnelles, comme l’a été dernièrement Le vent se lève pour un autre vieux maître japonais.
THE MIDNIGHT AFTER de Fruit Chan (Panorama)
On était sans nouvelles du hongkongais Fruit Chan depuis son exquis Nouvelle cuisine, il y a presque dix ans de cela – et qui avait alors déjà été sélectionné à Panorama. Entre temps, il a cachetonné ici (un remake d’un film d’horreur japonais) et là (un segment d’un film d’horreur à sketchs). Elle est bien loin l’époque des films d’auteur sensibles qui l’avaient fait connaître, tels Made in Hong Kong – Montgolfière d’or à Nantes en son temps – ou Durian Durian. L’entrée dans le genre fantastique semble avoir tourné au piège, sans retour en arrière possible. La nouvelle réalisation de Chan est en effet vendue comme un thriller de science-fiction, au pitch néanmoins alléchant : il n’y a plus âme qui vive dans Hong Kong, hormis un groupe de passagers d’un minibus, dont les membres disparaissent à leur tour un par un. On croise les doigts pour que la nouvelle prison de Fruit Chan soit dorée.
THE MONUMENTS MEN de George Clooney (Hors compétition)
Seconde Guerre Mondiale, encore. À la fin de celle-ci, un « bataillon » Allié composé d’historiens d’art et de conservateurs de musées est envoyé en Allemagne pour y récupérer des œuvres soustraites à leurs propriétaires par les Nazis : pour son cinquième long-métrage comme réalisateur, Clooney semble toujours aussi obnubilé par l’histoire (relativement) récente de son pays, traitée de manière sérieuse. Cela lui a moyennement réussi jusqu’ici, et le fait que The monuments men soit tiré d’un livre d’histoire n’est pas un signe encourageant de renversement de tendance. On va tout de même y croire, un peu, pour le beau casting réuni par Clooney autour de lui-même – Cate Blanchett, Matt Damon, Bill Murray, John Goodman (et Jean Dujardin). Et pour la résonance du film avec l’actualité – cette folle découverte le mois dernier de centaines de toiles de maîtres dans l’appartement du fils d’un dignitaire nazi, gardées à l’abri des regards depuis leur confiscation il y a presque quatre-vingt ans. Espérons que la fiction se montre à la hauteur de la réalité.
THE SECOND GAME de Corneliu Porumboiu (Forum)
La conversation sera au cœur de la Berlinale. La version longue de Nymphomaniac Vol. 1 devrait permettre à Joe et Seligman de prolonger leur échange de pensées sur le sexe, la nature humaine, la nature tout court, la science, la foi, l’amour. Le film de Lars Von Trier devrait donc suffire à couvrir tous les sujets du monde. Mais si tel n’était pas le cas, Michel Gondry et Noam Chomsky prendront le relais : ils ont 88 minutes pour trouver le sens de la vie dans Is the man who is tall happy ?. Richard Linklater, spécialiste de la conversation au long cours, apporte sa pierre à l’édifice avec une fiction à trois têtes qui se déroule sur douze ans… sans trucage. Mais la discussion la plus attendue pourrait bien être entendue du côté du Forum, dans The Second Game de Corneliu Porumboiu. Le réalisateur roumain y discute avec son père, devant la télé. Comme ça, c’est pas très excitant. Sauf qu’ils regardent un match de foot (c’est mieux), qu’il s’agit du «derby éternel» qui oppose Steaua et Dinamo de Bucarest (encore mieux) et que la rencontre datant de l’ère Ceaușescu fut particulièrement agitée, notamment à cause des décisions de l’arbitre… qui n’est autre que papa Porumboiu (coup du chapeau !). Reste à savoir si la caméra oscille entre le canapé et la télé, ou si elle reste rivée à l’écran ; le match ayant été joué sous une tempête de neige, le grain de la VHS vieillissante risque de compliquer le visionnage. Qu’importe, les perspectives sont réjouissantes : comparer équipes et parties, arbitrage et gouvernance, totalitarisme et impartialité, etc.. Le bon souvenir de Policier, Adjectif, précédent film du réalisateur qui faisait de la sémantique son sujet principal, laisse augurer une joute verbale de très haut niveau. Comme un une-deux victorieux signé Pelé et Messi.
SHADOW DAYS de Zhao Dayong (Forum)
Moins connu que ses aînés de la sixième génération (Wang Bing, Lou Ye, Jia Zhang-Ke…), Zhao Dayong a marqué les festivaliers qui passèrent par les 3 Continents de Nantes en 2010 puis par Rotterdam en 2011. Zhao y présenta successivement The High Life – trafics et incarcération, soient les deux parties d’une production fauchée et tournée sans l’aval du Bureau du Film – et My father’s house, documentaire remarquable consacré à l’évangélisation d’une petite ville du Sud de la Chine et à la politique d’immigration à l’égard de deux pasteurs nigérians venus y prêcher la bonne parole. Le plus vieux y faisant son office via Skype faute de pouvoir exercer en live. Le plus jeune, marié à une chinoise, étant renvoyé dans son pays natal. Shadow Days verra le jeune Renwei retourner dans le village de son enfance avec sa compagne enceinte. Son oncle, le maire, y applique la politique de l’enfant unique avec beaucoup de fermeté. Laissant entrevoir une belle atmosphère fantomatique, la bande annonce montre de jeunes femmes au ventre rond traverser le village, entassées dans un fourgon. Où vont-elles ? Que viennent faire l’armée et la police dans cette histoire ? Ce lieu abandonné et haut perché, est-ce le ciel ou l’enfer ?
STRATOS de Yannis Economides (Compétition)
Accréds a une grande affection pour le cinéma grec. La présence de Stratos de Yannis Economides en compétition n’a donc pas manqué de retenir notre attention. D’autant que le pays de la « weird wave » est peu représenté dans ce genre de section. Dans le polar de Economides, il sera question d’argent et de dette morale (du James Gray ? du Jacques Audiard ?). Stratos travaille la nuit dans une boulangerie et le jour comme tueur à gages – ça aurait pu être l’inverse. Tentant de rassembler la somme qui sert à organiser l’évasion de Leonidas, l’homme qui lui a sauvé la vie, le héros se rend compte qu’il est beaucoup plus endetté qu’il ne le pensait. Le film est produit par Christos V. Konstantakopoulos, nom associé à Before Midnight de Richard Linklater et à Miss Violence d’Alexandros Avranas, donc au meilleur comme au pire. Stratos va-t-il tenir ses promesses ?
Par Hendy Bicaise, Camille Brunel, Erwan Desbois et Nathan Reneaud
La 64e Berlinale se déroule du 6 au 16 février 2014