Envoyée spéciale à… Arras 2013
Les yeux rivés à l’écran et l’accréd autour du cou, un regard unique sur un festival atypique… Arras Film Festival, 14ème édition. Retour sur la compétition qui – aux côtés de rétrospectives sur la Guerre de Sécession et les espions des sixties, d’hommages à des auteurs français populaires (Patrice Leconte, Yoland Moreau, Philippe Lioret) et d’avants-premières en tout genre – mettait à l’honneur des films de jeunes cinéastes européens, avec une grosse domination cette année de longs-métrages en provenance d’Europe de l’Est, tous présentés en première française.
C’est sur la Grand’ Place, qui accueillit en son sein à la fois notre hôtel, le Village du Festival et le Cinémovida dans lequel a lieu la majeure partie des séances, que s’est passée la quasi intégralité de notre long week-end arrageois (oui, c’est comme ça qu’on dit). Les projections de films de la compétition ayant été regroupées sur les quatre derniers jours du festival, on a pu ainsi les voir les uns après les autres, recevant comme par leur intermédiaire quelques nouvelles (déprimantes, pour la plupart) de tous les coins de l’Europe. Pour commencer, Le Grand cahier de Janos Szasz, adaptation d’un roman francophone d’Agota Kristof, raconte quelques mois de la vie de deux jumeaux exilés chez leur grand-mère revêche durant la Seconde Guerre Mondiale en Hongrie. On déplore très rapidement le caractère désincarné du film – aucun personnage n’existe vraiment en dehors de sa caricature, et certainement pas les deux jeunes protagonistes, que l’on voit s’endurcir et se mettre à commettre toutes sortes de méfaits sans en comprendre les raisons. Sorte de conte étrange et glauque, le film ne convainc pas, dégageant une impression de gratuité totale.
Le Grand cahier possède plusieurs points communs avec un autre film de la compétition : The Disciple, qui sera le représentant de la Finlande aux prochains Oscars. Il s’agit également d’une fiction historique située dans les années 40, avec au centre de son récit deux jeunes garçons. Au contraire des jumeaux indissociables du Grand cahier, Karl et Gustaf sont des personnages très dissemblables. D’ailleurs ils ne sont pas frères : Karl est le nouvel employé du père de famille, gardien de phare, et il vient peu à peu rivaliser avec Gustaf dans le cœur de celui-ci. Sans être une réussite absolue, ce film très classique tire profit de son saisissant décor (une île isolée presque déserte, avec une maison et un phare pour seuls bâtiments) pour faire le portrait d’une famille sclérosée par la tyrannie du père, la passivité de son épouse et le désir de reconnaissance des enfants.
La famille – ses dysfonctionnements, son caractère oppressant surtout – était clairement l’un des thèmes centraux des films de cette compétition. Pour l’évoquer, l’un d’entre eux a fait le choix (pas du tout évident, au vu des traitements choisis par ses concurrents) de la douceur. Dans The Japanese Dog du roumain Tudor Cristian Jurgiu, un grand-père esseulé et veuf voit le « retour au bercail » de son fils unique, en compagnie de sa femme japonaise et de leur petit garçon. La présence de personnages japonais crée très naturellement des liens entre celui-ci et le cinéma de Kore-Eda (dont le dernier film, le magnifique Tel père, tel fils, était d’ailleurs présenté à Arras). Et pour cause, douceur et délicatesse sont les maîtres-mots du modeste The Japanese Dog qui, par petites touches, dessine une rencontre touchante et met en scène un petit miracle : un vieil homme sorti de sa torpeur par son petit-fils venu de l’autre bout du monde.
Le Polonais The Girl From the Wardrobe, qui a reçu le Prix Regards Jeunes et l’Atlas d’Argent de la mise en scène, est effectivement une réussite formelle. L’espace des appartements du héros et de sa voisine – la fameuse fille du placard – est rigoureusement architecturé et la caméra s’y déplace avec élégance. Il en faudrait cependant plus pour que le film accroche notre intérêt, qui raconte la cohabitation entre un petit mec falot et son frère autiste. Leur voisine d’en face est suicidaire et totalement apathique mais tout ce petit monde se lie d’amitié. The Girl From the Wardrobe déploie une bizarrerie intrigante et un humour étrange qui finissent malheureusement par paraître forcés et confus et désamorcent toute émotion avant un final tout simplement grotesque.
Le jury présidé par Philippe Faucon a attribué son Grand Prix (alias l’Atlas d’Or) au slovaque Miracle, portrait d’une adolescente placée en institution de correction et enceinte d’un junky du coin. Animé par un désir salutaire de rendre compte de la vie de ces jeunes femmes dans toute sa crudité, le film de Juraj Lehotsky échoue cependant à sortir des clous de ce naturalisme glauque dont on voit environ cinquante représentants par festival de cinéma – sans souffle romanesque, sans personnage convaincant, sans véritable propos. Alors que le cinéaste avait pour lui un décor fascinant à très fort potentiel, il fait le choix d’en sortir au tiers du récit pour plonger son héroïne dans une série de déconvenues scabreuses dont on se serait bien passés… À force d’empiler les gratuitement les péripéties, Miracle perd sa puissance initiale et finit par lasser plus que par impressionner.
Au sein du palmarès, on salue davantage le Prix du public, qui est allé à Kertu d’Ilmar Raag (réalisateur d’Une Estonienne à Paris, avec Jeanne Moreau, en compétition à Locarno en 2012). Il arrive qu’un film très imparfait soit sauvé par sa croyance dans ses personnages et à sa capacité à ne pas céder au cynisme pour leur donner une vraie chance de survivre et d’exister. C’est ce qui se passe ici. Kertu fait le choix du happy end, ce qui fait un bien fou et n’était pas acquis d’avance étant donné le sujet : Kertu, une jeune femme « simple d’esprit » surprotégée par sa famille (dont un père violent et incestueux) tombe amoureuse de Villu, un loser alcoolique de son village. Tout le monde réprouve cette relation, et le père de Kertu la maintient enfermée chez elle tandis que Villa apprend qu’il est gravement malade. Un sujet terriblement sordide, donc, miraculeusement traité avec douceur et bienveillance. À la lucidité un peu facile de Miracle par exemple, on préfère ici la naïveté d’un scénario qui choisit pour ses personnages la liberté et le bonheur, même temporaires.
Chasing the wind, Prix de la critique, fait partie de ces films dont on ne sait si on doit en dire du mal ou de bien. Il s’agit du portrait quelque peu dévitalisé d’une jeune femme qui, suite au décès de sa grand-mère, revient dans la région où elle a passé ses jeunes années et renoue avec son premier amour. À l’aune du caractère quelques peu racoleur ou calculé de certains concurrents (notamment les deux long-métrages récompensés par le jury Atlas), on comprend que la presse se soit tourné vers un film plus doux et subtil, tout en regrettant que ses qualités indéniables s’accompagne d’une quasi absence de romanesque et de singularité dans le traitement du sujet. On reconnaît la finesse de l’écriture, la belle sobriété de la mise en scène et le talent des interprètes mais on reste de marbre.
Autre film autour d’un destin de femme (beaucoup d’héroïnes féminines dans cette sélection), West, mention spéciale du prix de la Critique, a plus de souffle et de tenue. Il se déroule en Allemagne à la fin des années 70 et raconte le parcours d’une femme et de son jeune fils après leur émigration depuis l’Allemagne de l’Est : problèmes d’intégration, existence précaire, pesanteur de l’administration, la vie laborieuse de ces émigrés toujours soupçonnés et surveillés par les autorités est décrite méticuleusement. West évoque par son classicisme formel et son sujet historique et réaliste une certaine veine du cinéma allemand contemporain, de La Vie des autres à Barbara. Même s’il se perd en cour de route en orchestrant une intrigue autour d’un mari peut-être pas mort et peut-être espion pour la Stasi dont le spectateur finit par se moquer un peu, ce troisième long-métrage de Christian Schwochow maintient de bout en bout une émotion délicate et sans pathos.
Sans avoir déniché de merveille absolue et malgré un palmarès pas tout à fait pertinent, Arras nous offre encore cette année un tour d’horizon précieux de la jeune création européenne en neuf films (nous n’avons pas pu voir la comédie croate The Priest’s Children) formidablement mis en valeur par le festival et formant un ensemble très cohérent d’œuvres qui se répondent, se complètent et s’enrichissent les unes les autres.
Le 14e Festival International du Film d’Arras s’est déroulé du 8 au 17 novembre 2013