DARK TOUCH de Marina de Van

Après le bizarroïde et mésestimé Ne te retourne pas, qui avait reçu un accueil catastrophique à Cannes en 2009, et un passage par la case téléfilm avec Le Petit Poucet, présenté à Venise 2011, la singulière Marina de Van a financé et tourné hors de France son dernier projet. Avec Dark Touch, en compétition à Strasbourg 2013 et Gérardmer 2014, elle revient à de l’horreur plus classique, si l’on peut dire, avec une intrigue à base de maisons supposées hantées et d’enfants très très flippants.

Dans une grande maison lugubre de la campagne irlandaise, les meubles et les bibelots prennent soudain vie et attaquent les occupants. La petite Neve sera la seule rescapée d’un déchaînement domestique qui tuera le reste de sa famille. Mais personne ne croit l’enfant quand elle affirme que les meubles sont coupables, et celle-ci est recueillie par des amis de la famille. Ils sont bienveillants à son égard mais comprennent vite que quelque chose ne tourne pas rond… Dark Touch est un film d’horreur sans ironie, ni caricature, qui prend le genre au sérieux et aborde à travers lui des thématiques difficiles et sans doute très personnelles.

Comme elle le fit déjà avec Dans ma peau et Ne te retourne pas, Marina de Van met en scène l’« inquiétante étrangeté » du quotidien : comment ce qui nous est familier peut tout à coup nous devenir étranger, voire se retourner contre nous. Dans le premier long-métrage de la cinéaste, c’était la peau même de l’héroïne, son corps, qui se dérobait à elle. Dans Dark Touch, c’est la maison dans laquelle vivent Neve et sa famille qui finit par se déchaîner contre eux. Mais au fond dans ce film comme dans les précédents, le problème n’est pas extérieur à l’héroïne, il est en elle, dans ses blessures psychiques les plus enfouies, dans ses traumatismes remontant à la petite enfance

Dark Touch est un film d’une grande tristesse : l’enfant pâle et mélancolique qui hante chaque image ne parvient jamais à se remettre de ce qu’elle a vécu, malgré l’amour qui peut l’entourer (notamment de la part de deux beaux personnages féminins, une amie de la famille et l’assistante sociale de l’école). Neve ne réussit pas à retrouver le contact avec elle-même et avec le monde, et continue d’engendrer catastrophes et déferlements horrifiques. Marina de Van orchestre un crescendo efficace jusqu’à un final absolument glaçant qui célèbre de manière très ambiguë la vengeance ultraviolente des enfants abusés et maltraités contre le monde adulte qui prétend lui vouloir du bien.

D’une très grande richesse thématique, le film (mention spéciale du jury à Strasbourg) se présente sous des atours classiques qui n’empêchent pas de stupéfiantes fulgurances formelles (les scènes de déchaînement « mobilier », les visions macabres du final…). D’une linéarité et d’une homogénéité qui versent parfois dans la monotonie et ne lui permettent pas de se singulariser totalement, Dark Touch touche pourtant par l’attachement sans faille à sa jeune héroïne (même s’il est donné une chance aux adultes de s’expliquer, ils sont condamnés d’avance et ce n’est que justice). De Van traite son sujet avec une obsession qui le rend bouleversant par endroits.

DARK TOUCH (France, Grande-Bretagne, Suède, 2013), un film de Marina de Van, avec Clare Barrett, Missy Keating, Richard Dormer, Marcella Plunket. Durée : 90 minutes. Sortie en France le 19 mars 2014.

Anna Marmiesse
Anna Marmiesse

Diplômée de la Fémis, filière distribution. Wannabe scénariste. Critique cinéma par-ci par-là et fière détentrice d'un master en philosophie. Fangirl des Beatles, de Gene Kelly et de Marc Planus.

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