THE BLING RING de Sofia Coppola

Cinq adolescents des beaux quartiers visitent les villas des stars et s’y servent en vêtements et accessoires de mode : Sofia Coppola reconstitue un fait divers comme on feuillette les pages d’un magazine féminin, et n’en dit pas davantage sur le règne du factice qu’une publicité Sephora.

Toute société a les criminels qu’elle mérite. Alors quand celle-ci célèbre la pure vanité et que ses victimes sont Paris Hilton ou Lindsay Lohan, les délinquants sont forcément médiocres et insignifiants. The Bling Ring s’inspire d’un article de Vanity Fair consacré à une bande d’ados privilégiés, occupant ses nuits à visiter des villas de stars pour y chiper chaussures ou sacs de créateurs. Dommage qu’elle ne vole pas de DVD ou de CD – il faut dire qu’on ne trouve pas de rayons dédiés à la culture dans ces magasins privés – parce qu’il y a là un parallèle transparent à faire avec le vol virtuel. De la même manière que le téléchargement illégal apparaît comme un délit ne faisant pas vraiment de victime, le chapardage des riches reste indolore. Que représente une veste au milieu de cent autres ? Au bout de combien de temps une célébrité vient-elle à constater l’absence d’un bien ou éprouver un manque quelconque ? S’il est possible de se servir, depuis son ordinateur ou chez son voisin, pourquoi ne pas le faire ?

Les jeunes gens de Sofia Coppola ne font qu’appliquer au monde concret des enseignements tirés du virtuel, et ne sont pas moins indisciplinés que des internautes lambda. Ils trouvent l’adresse du domicile d’une star sur le web, puis utilise Google Earth pour leurs repérages. La visite simulée sur l’écran vaut déjà pour effraction. Le délit est commis avant d’avoir lieu, son exécution étant presque Katie Chang dans THE BLING RINGsuperflue. D’où l’absence totale de panache de cambriolages qui n’en sont même pas (les portes de certaines villas ne sont pas fermées à clé). Il s’agit juste d’intrusions aux airs de shopping, et même pas avec une carte gold illimitée, les voleurs choisissant avec parcimonie et goût.

Le défaut majeur de The Bling Ring est d’être au diapason de cette faible ambition. Toujours aussi étriquée, la vision de Sofia Coppola donne l’impression qu’elle transformerait un sujet mappemonde en un timbre poste. La base de son inspiration, c’est un article de Vanity Fair, pas Crime et châtiment. On a donc l’équivalent filmique d’un magazine féminin standard dont les pages voleraient sous nos yeux. De la belle image – le défunt chef opérateur Harris Savides, à qui le film est dédié, donne même aux scènes de lycée des teintes rappelant Elephant – parfaitement inconséquent et répétitif au-delà du raisonnable. Toujours les mêmes visites nocturnes, les longues séances d’essayage, l’émerveillement face au clinquant, les démonstrations de nombrilisme à base d’autoportraits pris en tenant son téléphone à bout de bras et partagés sur Facebook. La transparence des maisons braquées rend bien des services à Sofia Coppola, par son caractère provocant, sa vocation à encourager la confusion entre espace privé et zone publique, à faire de chaque demeure la vitrine d’un grand magasin. La réalisatrice n’y ajoute rien de plus, surtout pas d’impact politique ou idéologique, ou alors très maladroitement, en adoptant une narration pataude comme Nick Cassavetes l’avait fait avec le désolant Alpha Dog, autre teenage movie inspiré d’un fait divers (le meurtre d’un ado par d’autres ados, faisant alterner reconstitutions des événements et témoignages a posteriori face caméra). Même l’ironie postmoderne inhérente à The Bling Ring – film non pas sur Hilton et Lohan, mais sur celles qui les ont volées, c’est dire l’incompatibilité entre elles et la notion de premier rôle – ne donne rien, à part un dénouement laborieux à l’humour éventé.

Le sujet offrait-il matière à long-métrage ? Pas sûr, mais entre les mains de Sofia Coppola, encore moins. On ne peut s’empêcher de repenser à cette publicité pour Sephora, au moment où la chaîne de magasins faisait la promotion de la vente de ses articles en ligne. Une jeune femme s’introduisait dans une boutique la nuit, et profitait de tous les produits de beauté. Le double fantasme de l’enfermement dans le magasin et de la profusion était réalisé, mais dans une perspective évidemment commerciale : l’illusion ludique de la gratuité voulait simplement dire qu’il était désormais possible de faire ses emplettes la nuit, à n’importe quelle heure. L’achat virtuel y était présenté comme un braquage réel, et vice-versa. Cela n’avait beau être qu’une publicité, tout The Bling Ring y était contenu, en une minute.   

 

THE BLING RING (Etats-Unis, 2013), un film de Sofia Coppola, avec Katie Chang, Emma Watson, Taissa Farmiga, Leslie Mann, Israel Broussard. Durée : 90 minutes. Sortie en France le 12 juin 2013.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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