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Des policiers sont chargés d’escorter et de protéger un assassin pédophile dont la tête est mise à prix par un milliardaire : entre road-movie sur le modèle de L’épreuve de force et dissertation filmée, Shield of Straw s’épuise volontairement dans une dialectique sans fin et achoppe sur une conclusion malheureuse, mais non dénuée d’intérêt.
Cinéaste aux multiples visages et à la filmographie difficile à cerner, Takashi Miike fait ce qu’il sait faire : ce que l’on attendait pas de lui, pour le pire ou le meilleur. Le logo de la Warner, productrice, sur lequel s’ouvre Shield of Straw, donne d’emblée la tonalité américaine (même s’il s’agit de l’antenne japonaise du studio). Nous sommes en territoire largement balisé par des durs comme William Friedkin et plus encore Clint Eastwood, le film reprenant largement le postulat de L’épreuve de force (1977). Il y était question d’un flic (Eastwood) assigné à la protection d’un témoin (Sondra Locke), traqué par tous les voyous du pays, motivés par la récompense faramineuse promise par un chef mafieux. Même situation dans Shield of Straw, côté police et honnêtes citoyens par contre, la récompense étant cette fois promise par un vieux milliardaire dont la petite-fille a été violée et assassinée. Le coupable est obligé de se livrer s’il veut vivre et, la crise économique aidant, policiers comme employés sans histoires se retrouvent susceptibles d’exécuter à n’importe quel moment une vengeance qui a tout de la peine de mort (le milliardaire demande à ce que le geste obéisse à certains critères, afin de limiter les conséquences judiciaires pour l’assassin), assimilant le pays tout entier à l’île sur laquelle s’entretuaient les ados de Battle Royale. Et ça tombe bien, la peine de mort existe toujours au Japon, pays ainsi réduit à son principal point commun avec les zones les plus intolérantes des Etats-Unis. Pourquoi ça tombe bien ? Parce qu’on se demande évidemment pourquoi il faudrait se donner la peine de mettre en péril la vie d’honnêtes citoyens, afin de protéger la dernière des ordures (cerise sur la cerise sur le gâteau, l’ordure n’exprime aucun regret).
Ce n’est pas un scénario, c’est un sujet de dissertation. Takashi Miike le traite en alternant la thèse et l’anthithèse, montant à chaque séquence d’un cran dans le dilemme. Lors de la conférence de presse annonçant la Sélection Officielle de Cannes 2013, Thierry Frémaux avait taxé le film de « hawksien ». Il l’est thématiquement par la régularité des confrontations entre les personnages, oppositions plus verbales que physiques. Il a même quelques atours du western, avec son trajet rappelant celui d’une diligence traquée par les Indiens, et son protagoniste incarnant l’éthique d’une communauté qui pourtant le défie. Sauf que Shield of Straw n’est pas suffisamment inspiré, ni stylistiquement, ni thématiquement. Il ne mène à rien, et la trajectoire des personnages en atteste. Convoi autoroutier, train, voiture, marche : on n’avance pas sur le plan idéologique, donc on n’avance pas davantage dans l’espace.
Cette dialectique trop prononcée sature un récit volontairement anti-spectaculaire. Après la belle explosion d’un camion chargé de nitro (le Friedkin de Sorcerer/Le convoi de la peur ?), quelques fusillades certes, mais surtout beaucoup de conversations qui transforment chaque lieu en prétoire, comme si Miike n’était pas encore sorti de son adaptation du jeu vidéo Phoenix Wright: Ace Attorney, encore inédite en France. Tuer ou protéger ? Justice ou vengeance ? Pas de réponse, mais une accumulation d’arguments et de contre-arguments, dont on ne sort que par la voie la moins glorieuse, celle de la malhonnêteté. Pour Miike, la justice se résume à sa sanction. Il ignore le deuil que les victimes pourront faire grâce aux débats, les compléments d’enquête qu’elle apporte, la lumière qu’elle jette sur les faits. Puisqu’il transforme chaque lieu où les personnages s’arrêtent en un tribunal en puissance, peut-être faut-il appréhender le voyage comme une longue plaidoirie. En ce cas, où sont les victimes ? Où est leur parole ? C’est une erreur éthique terrible que de les ignorer totalement, et de se comporter ainsi comme Eastwood à sa belle époque vengeresse (L’inspecteur Harry, sous la direction de Don Siegel). Une erreur regrettable, comme la conclusion d’une dissertation intéressante qui prouverait malgré elle que son auteur n’avait en fait rien compris au sujet.
SHIELD OF STRAW (Wara no tate, Japon, 2013), un film de Takashi Miike, avec Takao Osawa, Nanako Matsushima, Goro Kishitani, Masatoh Ibu, Kento Nagayama. Durée : 125 minutes. Sortie en France indéterminée.