SLEEPLESS NIGHT de Jang Kun-Jae

Durant à peine 65 minutes, Sleepless Night était le petit Poucet de la compétition aux 3 Continents (en comparaison, Three Sisters durant presque trois fois plus et Theatre 1 & 2, cinq fois plus). Malin et charmant, le film remporte finalement une « Mention spéciale du jury ». En Corée, Hong Sang-Soo n’a plus le monopole du cœur.

L’écran-titre de Sleepless Night est un plan fixe sur un vélo échoué dans des fourrages, tel le vestige annoncé d’un accident à venir. Quelques instants plus tard, Jang Kun-Jae met en scène le dîner d’un couple, anodin jusqu’à ce que l’homme annonce à sa femme qu’il va « désormais devoir travailler le dimanche ». En deux plans, les dés semblent jetés. Ce sont assurément les signes avant-coureurs d’une catastrophe. Les prémices d’un adultère, d’une sale histoire, du genre à finir par un accident de vélo.

Il n’en est rien. Ce cheminement aurait été trop simple, et trop cruel. Ici, les personnages se parlent calmement, ils ne courent pas sous la pluie, ne s’affrontent pas à coups de pieds ou de cartons, ils ne maltraitent pas les animaux, ne subissent ni humiliation, ni misogynie. Sleepless Night évite un à un tous les travers d’un certain cinéma de mœurs coréen. Et ça fait du bien.

Jang Kun-Jae raconte simplement une histoire d’amour, brève et droite. Il emprunte toutefois, ça et là, quelques chemins de traverse : des séquences oniriques ayant pour but de tester la confiance du spectateur. Il l’invite à défier ses propres intentions, tout autant à jauger les sentiments que le couple laisse transparaitre, et plus encore à croire en la possibilité d’un amour sans réserve. En plus des séquences de rêves, l’ellipse devient le principal ennemi des espoirs à fonder en ce couple qui, de scène en scène, apparait toujours plus amoureux. Par exemple, lorsque Jang Kun-Jae les filment toute une journée dehors, à vélo, il pousse le spectateur à supposer qu’il s’agit là d’une sortie de week-end. L’intuition étant étayée par les deux brèves scènes suivantes : le couple qui s’endort, épuisé, puis le mari de retour au travail. Dans l’imaginaire du spectateur, c’est la preuve de son honnêteté : son dimanche est bel et bien besogneux. Seulement, le plan qui lui succède la voit, elle aussi, sur son lieu de travail. Alors, lui ment-il ? Quelques minutes plus tard, un nouveau test. Jang Kun-Jae déjoue encore les attentes par ses ellipses retorses : lorsque la jeune femme confie à sa mère vouloir retrouver son époux pour dîner avec lui, Jang Kun-Jae appose une scène déconcertante : son mari est au restaurant, à table sans elle, avec un collègue. Alors, la déçoit-il ?

A chacun de choisir le temps qu’il souhaite voir s’écouler dans chacune de ces ellipses. Jang Kun-Jae redouble de roublardise quand il mélange rêves et réalité vers la fin de Sleepless Night ; avec toutefois des indicateurs très explicites du caractère onirique de ces passages. A cet instant, plus que jamais, l’ombre de Hong Sang-Soo plane sur le film : une histoire de couple, de fantasmes, de songes, un combat ludique entre cœur et raison. Il n’est pourtant jamais ici question de choisir entre deux possibles, ou entre deux êtres : l’amour peut être fondamentalement absent du tableau, mais s’il est présent, il ne connait plus aucune limite. De bout en bout, Sleepless Night déborde de tendresse et de sentiments bienveillants. A côté de lui, les romances vertueuses de James L. Brooks prendraient presque des allures de brûlots misanthropes. Presque.

SLEEPLESS NIGHT (Jam mot deuneun bam, Corée du sud, 2012), un film de Jang Kun-Jae, avec Kim Ju-Ryoung, Kim Soo-hyeon. Durée : 65 minutes. Sortie en France indéterminée.

Hendy Bicaise
Hendy Bicaise

Cogère Accreds.fr - écris pour Études, Trois Couleurs, Pop Corn magazine, Slate - supporte Sainté - idolâtre Shyamalan

Articles: 307