Mapipe et Moncouteau : Tu t’es vu quand TABU ?

Accréds ouvre ses colonnes à un duo de spécialistes, chargé d’évoquer les oeuvres ou faits marquants des festivals, avec décontraction et intelligence. Mapipe et Moncouteau, car tels sont leurs noms, sont les Sherlock Holmes et Docteur Watson du cinéma, les M et M’s du Septième art. Ils se retrouvent ce soir au coin du feu pour converser de manière impromptue autour de Tabou (Tabu), le nouveau film de Miguel Gomes (Ce cher mois d’août).

– Moncouteau : Tabu, Tabou, c’est un remake du Tabou de Murnau ?

– Mapipe (il rit) : Remettez une bûche dans la cheminée, voulez-vous ? (il tire sur sa pipe) Certes non, ce n’est pas un remake, mais ça n’empêche pas les points communs. Murnau avait scindé son film en deux parties, le paradis, puis le paradis perdu. Gomes fait de même, mais en inversant les intitulés : d’abord le paradis perdu, puis le paradis. Vous remarquerez, cher ami, qu’il prend également soin de nommer son héroïne Aurora.

– Comme dans Tabou  ?

(Mapipe manque de s’étouffer avec son After Eight) Comme dans Sunrise. L’aurore.

– Il a de l’humour Miguel Gomes. Dans la première partie, Aurore est âgée, probablement Alzheimer. La femme qui s’occupe d’elle s’appelle Santa et l’action démarre à l’approche de Noël… (Mapipe est trop occupé à retirer les débris d’After Eight collés à son palais). Santa Claus.

– Vous y voyez un calembour  ?

– Cette Aurore a possédé un crocodile qu’elle appelait Dandy.

– Crocodile Dandy ? Ca me rappelle quelque chose…

– Depuis la ferme des crocodiles à la fin de La grotte des rêves perdus, je pense à Herzog chaque fois que j’en vois dans un film.

(Mapipe devient pensif) Il y a peut-être du Herzog. Il y a de la savane après-tout, dans la deuxième partie, et de la jungle dans le prologue. Herzog aime la jungle.

– Il y a du Raya Martin aussi ?

– Qui  ?

– Le réalisateur philippin d‘A Short Film About The Indio Nacional notamment, un habitué de Cannes. Le noir & blanc, la nature sauvage, la guerre pour l’indépendance nationale… Dans la deuxième partie, Aurora est une jeune portugaise vivant au Mozambique, alors colonie portugaise.

(Mapipe grignote un toast à la panse de brebis farcie) C’est peu pour parler d’influence.

– Et Raoul Ruiz ?

– Il est mort.

– Mais avant de mourir ? Il y a du récit dans le récit au cœur de Tabou, un peu comme dans Les mystères de Lisbonne, mais en moins alambiqué. Et un soupçon d’étrangeté discrète : le plan-séquence sur le visage de la vieille Aurora, racontant son rêve peuplé de singes ou d’hommes-singes, enregistré sur un plateau tournant, c’est un truc que Ruiz aurait pu faire.

– Hommes-singes dîtes-vous ?

– Vous pensez à la même chose que moi ?

(Mapipe se coupe une tranche de pudding au foie de marmotte) Quelle fin cette Planète des singes, quand Charlton Heston découvre que…

(Moncouteau l’interrompt) Je pensais à Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, d’Apichatpong Weerasethakul, la Palme d’or 2010. Les hommes-singes, ombres chinoises aux yeux rouges, sur fond de jungle verte.

– Happy… Quoi ? Feet ?

– Chatpong. Il a également réalisé Tropical Malady, film en deux parties, la première urbaine, la deuxième sauvage, comme Tabou.

– Et Monteiro ? Joao Cesar ? Vous ne me parlez pas de Monteiro. Il est portugais lui aussi.

– Était. J’ai pensé à Monteiro, c’est vrai. Peut-être simplement à cause de la langue. Ou de l’atmosphère, je ne sais pas, qui me rappelait parfois celle de Va et vient, son film posthume.

(Mapipe se sert un thé au saumon) Va et vient(pensif) Beau programme… (il se reprend) Murnau, Herzog, Martin, Ruiz, Weerase…

– Thakul.

– Et Monteiro. Est-ce vous qui cherchez à me rappeler que vous avez vu leurs films – enfin, leurs derniers seulement, si je puis vous faire la remarque – ou considérez-vous Tabou comme un catalogue ?

– Pas un catalogue. Ni une somme, surtout pas. Tabou a sa propre identité, forte, et sa singularité est belle, parce qu’elle invite à un grand voyage de cinéma.

(Mapipe reprend sa pipe) Ventre saint-gris ! Un film de cinéphile alors ?

– Un film de voyageur avant tout.

– Un voyage qui mène où ?

– Je ne sais pas, mais on y va tout droit.

Christophe Beney
Christophe Beney

Journapigiste et doctenseignant en ciné, passé par "Les Cinéma du Cahiers", "Palmarus", "Versès" et d'autres. Aurait aimé écrire : "Clear Eyes, Full Hearts, Can't Lose".

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