Envoyé spécial à… l’Etrange Festival 2012 : épisode 3, le pouvoir sidérant

Les yeux rivés à l’écran et l’accréd autour du cou, un regard unique sur un festival atypique… Il aura fallu attendre un cycle Ron Fricke pour vraiment s’extasier devant non pas un mais trois films. Pour le reste de cette fin d’Etrange 2012 : un classique horrifique sorti des greniers, un nouvel épisode de Dredd sans intérêt mais surtout l’adaptation charmante d’Ernest & Célestine.

Les derniers feux de l’Etrange Festival allaient en mettre plein la vue. Sous l’impulsion de Jan Kounen, un cycle Ron Fricke était au programme. D’abord chef opérateur sur Koyaanisqatsi (1983), il réalise ensuite Baraka en 1992 puis Samsara, présenté cette année en avant-première à l’Etrange. Le premier, mis en scène par Godfrey Reggio, se vit comme un trip initiatique au cœur de la folie humaine. Mis en musique par Philip Glass, cette œuvre à la réputation mythique ressemble à un voyage halluciné au milieu d’une grande toile en perpétuel mouvement. Reggio y filme des visages au milieu de la foule, une hystérie continue dans laquelle on s’amuse à aller et venir. Le montage n’est pourtant pas si instinctif. Le lien entre deux plans se construit par un cheminement intellectuel presque cartésien. Le film reste encore puissant mais on lui préfèrera finalement le plus décrié Baraka et son petit frère Samsara. Plus animal dans sa conception, Baraka se reçoit tel un voyage spirituel. Les liens entre les images demeurent plus évidents. Plutôt qu’à une grande toile, celui-ci fait penser à un fleuve au débit régulier. On se laisse porter par le courant, sans se détacher de l’écran pour s’adonner à une quelconque réflexion. C’est ce qui peut irriter si l’on considère sa démonstration sur l’hystérie humaine grossière.

Or, Baraka et Samsara racontent chacun une histoire : sous couvert de documentaires, ce sont bien deux fictions non-verbales que propose Fricke. Baraka se perçoit comme un cheminement vivant sur Terre. Tout n’y est que recueillement perpétuel pour s’élever à l’état de sidération. La nature magnifiée voit les hommes vivrent en cité à travers des rituels. Il prient, se racontent des histoires (voir ce saisissant passage avec les Kecac) puis, inéluctablement, ils s’entassent. Le segment urbain signe l’arrêt de mort. Guerres et génocides marquent l’anéantissement rousseauiste. Quand l’humain reprend de la hauteur, c’est pour mourir en paix, renouant avec le rituel spirituel. Vingt ans s’écoulent au moment où Samsara reprend le flambeau. Deux décennies d’un monde plus sombre, plus mortifère. D’ailleurs, ce film ne parle que de la mort. Le voyage reprend là où il s’était arrêté : sur une vision de macchabées. Fricke tente de démontrer, par une structure semblable, que tout ce qui est sur Terre peut être perçu comme déjà mort, même quand la vie résiste. Les Hommes se fondent aux robots, dans un dialogue inattendu avec la série Battlestar Galactica. Quand un col blanc se pose face caméra, c’est pour se momifier de maquillage et de terre glaise. Samsara multiplie les plans sur les visages inexpressifs. Si dans Koyaanisqatsi, ils jouaient avec la caméra, désormais ils appellent à l’aide. La création humaine détruit à grande échelle. En cela, ce dernier périple aura été le vrai film post-apocalyptique de l’année. Le beau a encore la place d’exister, le repli spirituel aussi. Mais, aidé par les progrès technologiques, Fricke insiste aussi sur l’hystérie de la croyance. Dans un plan où La Mecque grouille de monde avec une synchronie de mouvement stupéfiante, il fétichise le mausolée. Ron Fricke feint de fabriquer par le langage cinématographique des voyages apaisants et fait renaitre de ses cendres la vanité. Memento Mori.

Autre voyage sidérant, mais à hauteur d’enfant : Ernest & Celestine offre un oasis familial pour le dernier jour du festival. L’adaptation de la BD de Gabrielle Vincent réussit sa mue esthétique. Fidèle au trait d’origine, l’aquarelle y apparait comme une touche délicate. Le film se permet même un hommage direct au procédé graphique rendu célèbre par Fantasia, lorsque la musique forme les images. Réalisé par Vincent Patar et Stéphane Aubier, le duo à l’origine de Panique au village, et scénarisé par l’écrivain Daniel Pennac, le film sent bon la gomme neuve et le cahier de poésie. Grâce à sa jolie petite histoire d’amitié entre une souris et un ours, Ernest & Celestine aborde des notions bien connues (la tolérance, le courage, etc.). Puis, lors de la traditionnelle séance de « Retour de Flamme », dont le but est de faire (re)découvrir au public des trésors enfouis dans les greniers du 7ème art, est projeté Le fantôme de l’opéra (Rupert Julian, 1925). Le principal intérêt de cette version bricolée à partir de différentes pellicules vient de leur hétérogénéité : des scènes sont en couleurs, quand d’autres se parent d’un coup de pinceau bleuté. Par ces variations chromatiques plus ou moins volontaires, l’étrangeté décrépie du fantôme trouve une force nouvelle.

La soirée de clôture s’avère, en revanche, moins stupéfiante. A l’issue d’un palmarès qui a récompensé par deux fois le grotesque Headhunters, la projection du court-métrage Bastagon a failli avoir raison des festivaliers : une histoire de métalleux à la dégaine digne du groupe Kiss amoureux d’une fille qui se déguise en princesse, trop longue (20 minutes !), tour à tour silencieuse, bruyante et laide. Voilà qui ne va pas nous réconcilier avec le cinéma autrichien. Le feu d’artifice, c’était le retour du fameux Judge Dredd sur grand écran. Pour rappel, la version avec Stallone de 1995 était un bon gros nanar, même pas fun. Celui-ci tente quelque chose de plus limpide. Il s’agit d’un huis clos dans une grande tour, dans lequel l’intrigue sert de prétexte à taper à tout va et à enchaîner les images stylisées. Rien ne retient l’attention : ni Karl Urban, toujours aussi fade, ni les scènes d’action, toutes molles, ni cette drogue étrange qui ralentit le temps. C’estdans le calme, avec un certain ennui mais sans colère, que s’achève cet Etrange Festival. Une édition toujours aussi bon enfant mais dénuée, cette année, de découvertes de pépites du cinéma de genre. On retient le très beau Citadel et on attend aussi la sortie en salles d’Insensibles, dont les retours sont très positifs, pour enfin vibrer pleinement.

Le palmarès complet de la 18e édition de l’Etrange Festival :

PRIX NOUVEAU GENRE  et PRIX DU PUBLIC :

HEADHUNTERS de Morten Tyldum

GRAND PRIX CANAL+ (compétition de courts-métrages) :

BASTAGON de Marc Schlegel

PRIX DU PUBLIC (compétition de courts-métrages) :

DRAINED de Nick Peterson et HOW WE TRIED A NEW COMBINATION OF LIGHT de Alanté Kavaïté (ex-aequo)