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Des yakuzas parlent longuement d’autres yakuzas, puis finissent par sortir s’entretuer : Takeshi Kitano donne une fausse suite à Outrage et sabote son film de gangsters, sans que l’on sache s’il faut en rire ou en pleurer.
Kitano a mis volontairement son cinéma en crise au milieu des années 2000, avec Takeshis’, Glory to the Filmmaker ! et Achille et la Tortue. Cette trilogie sur la création, plus psychanalytique qu’autobiographique, montrait globalement un artiste en proie à une schizophrénie destructrice que ses deux avatars, le bouffon « Beat » Takeshi et l’honorable Kitano, peinaient désormais à contenir. La sélection d’Outrage à Cannes en 2010 signait le retour en grâce du réalisateur, boudé des festivals alors qu’il en était devenu un chouchou, ainsi que ses retrouvailles avec le film de Yakuzas qui a contribué à asseoir en partie sa réputation. Il était difficile de prévoir une telle rechute à Venise.
Beyond Outrage est en deux temps. Le premier : des yakuzas se réunissent et parlent d’autres yakuzas. Leur évocation sans fin de personnages dont les visages nous restent inconnus, dans un enchaînement interminable de noms propres, forme un maelström d’incompréhension qui aspire sans peine le plus concentré des spectateurs. Deuxième temps : le montage devient elliptique, les blessés par balle d’une scène sont remis de leur blessure dans la scène suivante, les fusillades remplacent les conversations, et on ne comprend pas davantage ce qui peut bien se passer. Si Kitano était Georges Perec, on dirait que nous avons affaire à deux tentatives d’épuisement d’un sujet : le trop-plein d’informations d’un côté, l’absence totale de l’autre ; le statisme bavard, puis l’action tous azimuts. Outrage Beyond offre tout ce que l’amateur de Kitano demande, mais dans des dosages trop maladroits pour ne pas sentir la mauvaise foi.
Vous voulez voir des gangsters se tirer dessus ? En voilà, pendant dix minutes consécutives. Vous voulez de la trahison et des manigances ? En voilà aussi, sous la forme de réunions ennuyeuses à mourir et aux enjeux insaisissables. Comme Kitano fait bien les choses, il fournit une scène emblématique de sa démarche quand un type se retrouve attaché à une chaise, face à une machine d’entraînement au base-ball. Elle crache régulièrement ses balles dans la tête de la victime. L’assomme, le tue. Plan large de l’action, qui dure. Gros plan sur le visage tuméfié, qui part en arrière à chaque impact de balle. Une machine qui tape à un rythme métronomique, sans plaisir ni sentiment, contre un corps qui prend les coups et continuent de les prendre longtemps après qu’il n’y a plus rien à avouer, ni à éprouver. Voilà ce qu’est Outrage Beyond : une mécanique sans âme, ou une mécanique plaquée sur du vivant, donc un rire selon Bergson.
Kitano fait du Kitano, sauf qu’il en a conscience et que ça ne l’amuse pas. Ce dernier point par contre n’est pas sûr du tout. Peut-être fait-il mine de ne pas s’amuser – ça irait bien avec son visage keatonien – mais peut-être aussi son humour est-il confidentiel, destiné aux fans les plus complices ou à ses proches. Est-ce même une blague qui ne fait rire que son auteur ? On aurait dû davantage se méfier du titre. Outrage Beyond, ça ressemblait à une manière classe d’éviter le prévisible Outrage 2. Faux. Outrage Beyond, « Outrage et au-delà », c’est un programme métafilmique, pas une suite, mais une exploration, une déformation, une mise en abyme, exactement comme dans cette fameuse trilogie de la création, à peine distribuée dans le monde. Avec celle-ci, Takeshi étranglait ses avatars loufoques ou sérieux. Maintenant, il réserve le même sort à son traitement des yakuzas, mais sans prévenir cette fois le public et avec un humour à froid qui laisse de glace. Outrage Beyond, c’est le film de gangsters selon Kitano qui se fait hara-kiri et exhibe ses tripes tout en restant parfaitement impassible.
EN BONUS : Kitano joue-t-il aux spectateurs le même tour qu’il joua jadis aux gamers avec Le défi de Takeshi, jeu vidéo sorti sur NES (Famicom) en 1986 ? Extrait de sa fiche Wikipedia : « Le principe est d’accomplir des missions répétitives, inutiles et presque impossibles tel que chanter pendant une heure sans s’arrêter (la Famicom possédait un micro), appuyer pendant 4 heures sur la touche « select », ou frapper le boss final 20 000 fois. Sur l’écran titre, on pouvait lire « ce jeu a été réalisé par quelqu’un qui déteste les jeux vidéo » ».
OUTRAGE BEYOND (Autoreiji Biyondo, Japon, 2012), un film de Takeshi Kitano, avec Takeshi Kitano, Ryo Kase, Toshiyuki Nishida, Tomokazu Miyura. Durée : 110 min. Sortie en France indéterminée.