Mapipe et Moncouteau : Tu n’as rien vu à Berlin

Ils sont les Livingstone et Stanley du cinéma, les Hansel et Gretel du Septième Art. Ignorant tout des désagréments de la transpiration, notre duo de spécialistes profite de sa partie de chasse au Snark pour converser autour du palmarès de la Berlinale. En toute décontraction et bonne intelligence, comme toujours, mais avec en plus des armes à feu.

– Moncouteau : Que vaut César doit mourir, des frères Taviani, l’Ours d’or 2012 ?

– Mapipe (il rit) : Passez-moi ma cartouchière, voulez-vous ? (il tire sur sa pipe) Ventre-saint-gris, comment le saurais-je ? Je ne l’ai pas davantage vu que vous.

– C’est ennuyeux. Comment juger de la valeur d’un palmarès sans avoir vu son principal lauréat ?

– Cher ami, auriez-vous la naïveté de croire que tous les observateurs qui donnent leur avis savent systématiquement de quoi ils parlent ?

– Je l’ai, en effet.

– Un festival ne se réduit pas à sa compétition. Il y a aussi tellement de choses à voir, ailleurs, et dont personne ne parle. Impossible de ne pas faire d’impasse (il vise un cerf, tire et le manque).

– Je crois savoir qu’à Cannes, vous faîtes rarement des impasses dans ce domaine.

– J’estime peut-être davantage la compétition cannoise.

– Ou peut-être est-ce plus gratifiant de participer au jeu médiatique autour des films en compétition là-bas, de bénéficier d’une infime morceau de la notoriété d’un film simplement parce que vous faîtes partie des privilégiés à l’avoir vu. Etre l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours, c’est un peu avoir vu soi-même l’ours.

(Mapipe est à l’affut) Vous avez vu un ours ?! Où ça ?

– C’était une image.

– Laissons les images aux films et faisons confiance au choix du jury (il vise un dauphin, tire et le manque).

– Comment faire confiance à un jury qui attribue son deuxième prix le plus prestigieux à Just The Wind, l’oeuvre d’un homme incapable de filmer avec empathie ceux dont il est censé défendre la dignité ?

(Mapipe casse son fusil pour le recharger) En voilà un point de vue intéressant. Insinuez-vous que Mike Leigh n’aime pas les gitans, qu’il est devenu aussi détestable que ses personnages d’Another Year ?

– Venant du réalisateur de Secrets et mensonges, cela m’étonnerait beaucoup.

(Mapipe recharge son fusil) Insinuez-vous alors que vous, du haut de votre pratique émérite et reconnue du cinéma, si vous me permettez cette taquinerie, vous avez vu dans Just The Wind une xénophobie que ni Mike Leigh, ni aucun de ses jurés, n’a vu ? (Mapipe vise un dinosaure, tire et le touche).

– Faire des films et regarder des films, ce n’est pas le même métier.

(Mapipe rit et ne fait même pas attention au dinosaure qui, à peine blessé, s’éloigne tranquillement) Allez dire ça à Miguel Gomes, le critique devenu réalisateur de Tabou !

– A Venise, Darren Aronofsky et les siens ont bien donné un prix à Terraferma, autre film détestable. C’est le syndrome de l’enfer pavé de bonnes intentions. Le projet citoyen de ses réalisations est contredit par la mise en scène, mais le jury semble s’en tenir aux intentions.

– Les lions d’or et d’argent, Faust et People Mountain, People Sea étaient de véritables oeuvres d’esthète. J’ai l’impression que vous reprochez aux jurys de ne pas s’en tenir à des critères uniquement esthétiques. Ou plus simplement de ne pas partager votre vision du cinéma.

– Je reproche au jury de Berlin son palmarès typiquement berlinois.

(Mapipe rit) Comme si les jurys se suivaient et se ressemblaient ?

– Comme si les compétitions se suivaient et se ressemblaient, ne laissant aux jurys pas d’autre choix que celui de reconduire le même schéma.

– Au palmarès figure Tabou, le chouchou de la critique.

– Pour un accessit, un prix de l’innovation que Miguel Gomes a semblé goûté du bout des lèvres.

– Je dirais plutôt qu’il l’a reçu avec un humour pince-sans-rire (il vise un phénix, tire, le tue, mais l’animal renait immédiatement). « Je suis confus de recevoir un prix de l’innovation alors que je croyais avoir fait un film à l’ancienne ». Est-ce la peine de tant vous indigner quand les principaux concernés, eux, accueillent tout cela avec une certaine distance ?

– C’est l’amertume de ne pas avoir vu le film des Taviani et de ne pas savoir de quel côté il penche le plus : l’innovation formelle ou l’illustratif.

– Je suppose que vous irez le voir en salles pour vous faire votre opinion ?

– Nous pourrons même y aller ensemble.

– A condition de sortir un jour de cette forêt. Vous ai-je dit que nous étions perdus ?