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L’édition 2011 du Festival de la Roche-sur-Yon a donné carte blanche à Bertrand Bonello pour établir une programmation autour de son dernier long-métrage, en compétition à Cannes : L’Apollonide, souvenirs de la maison close. C’est à cette occasion que le cinéaste nous a accordé un long entretien, dont nous rendons compte en deux parties. Au programme de ce premier volet : les choix de programmation de Bertrand Bonello, son admiration pour Les fleurs de Shanghai et Boulevard de la mort, un coup de fil important reçu à 22h, du Dahlia Noir, et de souvenirs du dernier Festival de Cannes.
La programmation de Bertrand Bonello pour le Festival de La Roche-sur-Yon 2011 :
Boulevard de la mort (Quentin Tarantino, 2007)
La mort de Maria Malibran (Werner Schroeter, 1971)
Les fleurs de Shanghai (Hou Hsiao-Hsien, 1998)
Faubourg Saint-Martin (Jean-Claude Guiguet, 1986)
L’homme qui rit (Paul Leni, 1928)
Lola une femme allemande (Rainer Werner Fassbinder, 1981)
La Paloma (le temps d’un regard) (Daniel Schmid, 1974)
La rue de la honte (Kenji Mizoguchi, 1956)
L’inconnu (Todd Browning, 1927)
Beaucoup de cinéastes rechignent à avouer leurs influences. En organisant pour le Festival de La Roche-sur-Yon une programmation autour de L’Apollonide, vous dotez votre film d’un véritable arbre généalogique. Qu’est-ce qui vous a décidé à accomplir cette démarche ?
Tous les films choisis ne m’ont pas servi de références pour L’Apollonide, c’est pour cela que la programmation s’intitule Souvenirs d’autres films. Pour certains d’entre eux, j’ai même du lutter afin de trouver des liens. Ils sont là, parce que j’avais envie de les montrer. Quand Emmanuel Burdeau [programmateur du Festival] m’a proposé de faire une programmation autour de L’Apollonide, mon but n’était pas de dévoiler mes influences, mais d’enrichir le film. C’est ça qui est attirant. On fait toujours de la promotion pour parler de soi, alors parler des autres à moment donné, ça fait du bien.
Avez-vous choisi des films qui n’ont pu être retenus au final, faute de copie disponible ?
Non et ça m’a étonné. Quand j’ai fait ma première liste de dix ou douze films, je m’attendais à ce que le festival me la renvoie une semaine après, en me disant qu’il ne pouvait avoir que quatre titres et qu’il avait besoin d’autres propositions. Ils ont pourtant tout réuni, notamment des films difficiles à trouver.
Lesquels par exemple ?
Je ne sais pas exactement, mais je pense que des films comme La Paloma ou L’inconnu restent des raretés.
En regardant votre programmation a posteriori, pensez-vous avoir oublié des films ?
J’en ai oublié cinquante ! Je m’en suis tenu à dix films, en essayant de ne pas faire une programmation unilatérale, c’est-à-dire pas trop américaine, ni trop 1900, etc. Le résultat est une sorte de spectre, borné temporellement par L’Inconnu et par Boulevard de la mort. Il y a une partie très allemande, pour me permettre aussi d’inclure Ingrid Caven, présidente du jury cette année, et associer ma carte blanche à l’hommage en sa présence. Il y a également une partie asiatique. On obtient au final une cartographie assez vaste.
Vous avez présenté aux festivaliers Les fleurs de Shanghai, en compagnie de Jia Zhang-ke, en faisant trois remarques importantes. La première concernait votre découverte du film d’Hou Hsiao-hsien. Vous êtes allé le voir plusieurs fois à sa sortie en salle, et quand le film a été édité en DVD, vous avez encore vu et revu le plan-séquence d’ouverture du film. Etes-vous un cinéphile compulsif ?
Pas du tout, mais certains films vous y incitent. Beaucoup de gens m’ont dit ne pas avoir tout compris aux Fleurs de Shanghai. C’est normal, mais le but ici n’est pas de comprendre l’histoire. Notre réflexe de spectateur est de s’accrocher aux personnages et de vouloir savoir qui est qui, alors que ce n’est pas le sujet du film. Il faut juste se laisser aller. Il n’est même pas absolument interdit de dormir devant, parce que dormir c’est rêver, et que le film est justement une espèce de long songe. J’ai revu Les fleurs de Shanghai, parce que c’est formellement très fort et qu’il y a en plus un côté trip, mais je ne suis pas un cinéphile compulsif. Je suis même beaucoup moins cinéphile que pas mal de mes confrères. C’est parce que mes films font souvent appel au fétichisme que le spectateur ou le critique va chercher des références dans d’autres œuvres, des plans, des objets, des moments, mais c’est bien moins volontaire que ce que l’on croit.
Le réflexe critique de trouver une filiation à un film semble avoir été encore plus fort que d’habitude concernant L’Apollonide.
Il m’est arrivé la même chose pour De la guerre et Tiresia. Mes films inspirent un rapport au fétichisme, probablement parce que je le suis un peu moi-même. Pour L’Apollonide, beaucoup s’en sont donné à cœur joie, en citant des films, des cinéastes ou des tableaux que je ne connaissais absolument pas.
Venons-en à votre deuxième remarque. Pour L’Apollonide, vous dites avoir donné comme consigne à votre directrice de la photographie de trouver le juste milieu entre Les fleurs de Shanghai et Boulevard de la Mort. C’est impossible, mais que cherchiez-vous à retenir de ces deux films ?
C’était une blague de ma part, évidemment, mais il faut parfois commencer par là pour se fixer un but. Ces deux films m’intéressaient parce qu’ils montrent des femmes entre elles, qui parlent beaucoup. Ce sont deux films dans lesquels il ne se passe pas grand-chose, y compris dans le Tarantino si l’on omet les deux séquences de voiture, et qui m’éloignaient du folklore franco-français que je redoutais, celui du Paris 1900. Le but c’était d’aller chercher ailleurs. J’avais envie de retrouver l’hypnotisme, la légèreté et les sons des Fleurs de Shanghai, par exemple, mais ces éléments sont finalement moins présents dans le scénario définitif de L’Apollonide qu’ils ne l’étaient dans la première version, beaucoup plus longue.
Au sujet de votre troisième et dernière remarque : vous avez parlé de film opiacé concernant Les fleurs de Shanghai. Cet adjectif caractérise parfaitement L’Apollonide. La structure complexe du début de votre film, cette confusion entre passé et présent, rêve et réalité, est-elle un moyen de rendre compte de la prise d’opium ? La question se pose parce que cela peut rappeler le principe qu’applique Sergio Leone à la narration d’Il était une fois en Amérique.
Ce n’est pas pour ça que j’ai choisi cette construction. En huis-clos et en l’absence d’espace visuel, il me fallait trouver une forme d’espace dans le temps, donc jouer sur la temporalité afin de trouver l’ouverture que la géographie ne m’offrait pas. Tout cela est écrit dans le scénario, de manière précise. Ensuite, pendant le tournage, je cherchais l’atmosphère des salons et ce ton opiacé m’a convaincu. Il permettait de préserver la douceur et la sensualité, et de me garder du côté titi parisien.
Avez-vous vu Le Dahlia Noir de Brian de Palma ?
Je l’ai vu, oui. J’en ai très peu de souvenirs. Je voulais le revoir d’ailleurs. Vous me demandez ça à cause du sourire ?
A cause du sourire que forme la bouche mutilée de la victime, comme c’est le cas dans L’Apollonide, et de l’extrait du film de Paul Leni, L’homme qui rit, que l’on voit dans le film.
Ca, je ne m’en souviens pas. Le film de Paul Leni, à moins que ce ne soit le roman de Victor Hugo, a été l’influence première pour créer le personnage du Joker. D’ailleurs, quand on a posé les prothèses sur le visage de Judith Lou Lévy, le résultat était beaucoup plus proche du Joker que du protagoniste de Paul Leni. Ce qui m’avait marqué avec Le Dahlia Noir, c’est que quel que soit son sujet – et là, il prend James Ellroy – De Palma finit toujours par refaire Vertigo.
Il réussit même une belle séquence d’escalier.
Et il y a encore une fois une histoire entre une brune et une blonde. Là pour le coup, ça relève vraiment de l’obsession.
Comment avez-vous vécu l’accueil de L’Apollonide à Cannes ?
Cannes est une puissante machine, qui englobe beaucoup d’éléments. Il y a d’abord la projection. Moi, je n’ai assisté qu’à une seule, celle du soir. Ce fut un très beau moment : l’attention du public pendant tout le film, puis les vingt minutes d’applaudissements. Après, il y a l’accueil de la presse : du côté français, ça s’est plutôt bien passé, et côté étranger, ce fut plus divisé, voire carrément dur. Il y a également l’aspect économique. J’étais très content, parce que les exploitants ont aimé le film, qu’il s’est bien vendu à l’étranger, puis a beaucoup voyagé. Et enfin, il y a le jury. Visiblement, ça c’est mal passé pour moi, mais ça, c’est une donnée que l’on ne contrôle pas, ça ne me regarde pas… Quand on sort de là, on se demande ce qu’il s’est passé. La compétition fait l’effet d’un tourbillon. On vous prend, on enchaîne quarante ou cinquante interviews par jour, des rencontres de cinq ou dix minutes, le photocall… On se laisse porter, et tout d’un coup, c’est fini et on en sort un peu sonné. C’est assez indécent, mais c’est ce qui fait la puissance de ce festival : deux cinéastes deviennent le centre du monde pendant une journée, et le lendemain, c’est au tour de deux autres.
Est-ce important pour vous d’avoir votre film sélectionné dans un festival ?
Certains films peuvent s’en passer, mais pour d’autres, c’est l’opportunité d’exister à un endroit précis aux yeux du monde. A Cannes cette année par exemple, se retrouver dans les vingt, c’était aussi s’inscrire aux côtés de Moretti, de Lars Von Trier ou de Terrence Malick. Ca ne veut pas dire que ces œuvres sont de niveau égal, mais qu’elles cohabitent d’égal à égal, et que chacune doit être vue au même titre qu’une autre. C’est important d’y figurer – je mentirais si je disais le contraire – mais il ne faut pas aller à Cannes à tout prix, surtout si le film semble trop fragile ou inachevé. Il faut penser à son film, le protéger. Cannes ne protège pas, mais expose incroyablement.
A quel moment dans la création de L’Apollonide avez-vous appris que le film était sélectionné à Cannes ?
Quand j’ai montré L’Apollonide, le montage était fini, mais le son n’était pas mixé. Les candidats français montrent les films quand ils en ont envie. Le comité les regarde, et la veille de la conférence de presse annonçant la sélection officielle, il téléphone à l’intéressé pour lui dire si oui ou non il est retenu. Impossible de le savoir avant.
Vous avez appris votre sélection seulement la veille de la conférence de presse ?
Vers 22 h.
Comment avez-vous réagi ?
C’était une explosion de joie. Ca faisait en plus monter la pression, car l’année s’annonçait particulièrement riche en termes de films français.
Dans le second et dernier épisode, L’Apollonide, L’Apollonide et encore L’Apollonide, du début à la fin, de l’écriture au tournage en passant par les essais et les bonus du DVD, avec H.G. Wells, Adèle Haenel, Jacques Nolot, Ingrid Caven, Tiresia, etc.