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Les linceuls, c’est le sel, celui des larmes de David Cronenberg, mari endeuillé qui, y trouvant une catharsis, livre un film sur la mort, le chagrin, la transcendance… au goût amer malheureusement.
Même allure, même coupe, c’est tout sauf un hasard si Vincent Cassel a l’air d’un double de David Cronenberg dans Les linceuls : il y est lui aussi réalisateur, un ex-« vidéaste industriel » nous dit-on qui, désormais, créé des images d’un genre nouveau : un système de diffusion privée du cadavre en décomposition de l’être aimé à l’intérieur de son cercueil. Derrière ce postulat unique, belle promesse initiale du film, réside le dernier lien entre l’auteur et son personnage, forcément touchant : le protagoniste a imaginé ce concept après avoir perdu sa femme, quand Cronenberg a écrit Les linceuls alors qu’il faisait le deuil de son épouse Carolyn Zeifman, disparue en 2017.
Malheureusement, ce que le cinéaste raconte par la suite, la trame d’un thriller s’articulant autour de la profanation de ces tombes high tec, le fait que cette attaque soit possiblement liée à un complot impliquant médecins américains et espions russes et chinois, manque de cohérence pour ne pas dire de sérieux. Un grand nombre de répliques entendues au cours du film ne sont pas au niveau de la complexité des enjeux traités et du degré de réflexion que l’on peut attendre des personnages dans leurs domaines scientifiques respectifs. Toute proportion gardée, à cet égard, on pense aux films d’anticipation fauchés de Neil Breen (soit dit en passant, la crainte s’inverse maintenant : celle d’être trop rude envers Breen en en faisant le mètre-étalon de la SF la plus amphigourique, le cinéaste ayant objectivement construit son propre univers et le chargeant régulièrement de ses obsessions, au même titre que Cronenberg donc).
Mais au-delà de l’amphigouri, patente dans Les linceuls, les dialogues perturbent aussi par leur construction, les personnages répétant souvent les propos de leur interlocuteur, comme si personne ne comprenait plus que les spectatrices et spectateurs ce qui est en jeu ici. Au point même que l’on se demande si le film ne lorgne pas délibérément vers le second degré, ou tout autre degré que premier. Certains éléments assurent que Cronenberg plaisante au moins un peu ici, malgré la gravité du sujet ; c’est notamment le cas à chaque fois que l’intelligence artificielle qui assiste le personnage principal dans ses missions insiste pour prendre l’apparence d’un koala plutôt que celle d’une jeune femme (et double de sa défunte femme au passage).
Ce personnage virtuel trouve sa place au sein d’un vaste réseau de contradictions visant à témoigner du monde entre deux âges qui déstabilise souvent le personnage, et possiblement le cinéaste octogénaire lui-même : opposition des corps et de leurs avatars, conséquemment de leur observation et de leur (re)modélisation, opposition aussi entre les déplacements contrôlés (en voiture notamment – motif cher à son auteur, de Crash à Cosmopolis) et le pilotage automatique (le protagoniste roule en Tesla) ; et plus imperceptiblement le film s’intéresse aussi au rapprochement entre la profondeur des corps et la profondeur des rêves. En cela, du fait qu’il y a une certaine matière intellectuelle à manipuler dans ce film, et parce que l’œuvre riche et connexe de l’artiste la nourrit en sous-texte, Les linceuls reste le type de création qu’un cinéphile, pour peu qu’il en apprécie l’auteur, est tenté de magnifier à mesure qu’il y repense et qu’il y réfléchit. Attention à ne pas se laisser prendre au piège, donc. Il convient alors de se remémorer les passages les plus indélicats du film pour rééquilibrer tout cela (toutes les scènes incluant le personnage de Guy Pearce, par exemple) ; ou, solution aussi efficace mais plus vertueuse, de repenser à son dernier grand film en date pour définitivement remettre les choses en place, et en l’occurrence sans chercher bien loin, s’agissant seulement de son précédent : Les crimes du futur.
LES LINCEULS (The Shrouds, Canada, France, 2024), un film de David Cronenberg, avec Vincent Cassel, Diane Kruger et Guy Pearce. Sortie en France le 25 septembre 2024.