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Anora, dite « Ani », est une jeune strip-teaseuse à la recherche d’une porte de sortie, à la recherche du bonheur. Mais à peine a-t-elle trouvé tout cela qu’elle le perd aussitôt. Une nouvelle quête commence… Anora, le personnage, n’est pas toujours aimable mais on l’aime quand-même. Anora, le film, qui s’évertue à emprunter bien des mauvaises directions et à prendre bien des mauvaises décisions, n’aura pas autant d’indulgence de notre part.
A l’instar de Caught by the Tides de Jia Zhangke et de Grand Tour de Miguel Gomes, tous deux aussi en Compétition à Cannes 2024, l’intrigue d’Anora s’articule autour d’une femme à la recherche de son compagnon en fuite, remuant ciel et terre pour le retrouver. Cette trame ne constitue toutefois pas l’entièreté du récit, elle n’en est que le cœur. Avant cela, Sean Baker s’attache à la rencontre d’Ani (strip-teaseuse) et de Vanya (fils de milliardaire) lors d’une exposition vive et charmante. Puis le jeune homme est contraint de s’échapper, ayant provoqué le courroux de ses parents (« Un fils de milliardaire n’épouse pas une strip-teaseuse »). Malheureusement, la fuite du jeune homme ne fait pas que rebattre les cartes pour les différentes figures à l’écran, le soubresaut fait surtout retomber Sean Baker dans ses pires travers. On pense notamment au grand final de Tangerine (2015) quand les personnages de cette grande scène centrale d’Anora jouent à qui hurle le plus fort, en plus de casser tout ce qui leur tombe sous la main.
Nouvel écueil, l’hystérie ambiante n’est pas une fin en soi : Sean Baker utilise moins le brouhaha et les fracas pour retranscrire l’irritation de ses personnages que pour inscrire son film dans le registre de la comédie. Seulement, tout est surligné, tout est chiffré : la cadence imposée dans ces coups de sang, les ponctuations de chacune et chacun, cette manie de clore les interactions par un rire ou un cri, sinon par un cut sur un personnage qui dort ou qui grimace, moult petits plans censés surprendre quand le calcul se montre trop facile et apparent.
En marge de la farce, et plus exactement en filigrane, l’irruption presque parasite d’une nouvelle sous-intrigue de romance ne convainc guère plus, ayant été flairée de longue date et dirigeant de surcroit le film vers un final qui, en termes de caractérisation, étonne, déçoit puis dérange. Brosser le portrait d’une femme décidée, intransigeante, réfléchie, etc., en somme quelqu’un de fort et d’indépendant, pour conclure sur sa fragilité et surtout pour dire que, contrairement à ce qu’elle assurait peu avant, elle aura bien besoin du soutien et de la présence d’un homme, voilà qui reste indubitablement malvenu.
Certes, Sean Baker saurait défendre l’écriture de son personnage : son Ani est aussi ambivalente, complexe, tourmentée même. Et peut-être faut-il l’être pour crier au viol quand aucune agression sexuelle n’a lieu, ou pour accuser un homme d’être un violeur simplement parce qu’il a « un regard de violeur » ? Pour autant, le fait de ne pas toujours saisir la psyché ou les agissements d’Ani n’est pas même ce qui dérange le plus ici ; il n’est pas désagréable en soi de faire face à un personnage retors, surtout s’il est incarné par une comédienne telle que Mikey Madison (déjà épatante pendant cinq ans dans Better Things et cinq minutes dans Once Upon a Time in Hollywood). Finalement, le malaise ressenti provient plus du fait que l’impression première de liberté conférée par l’œuvre de Sean Baker s’étiole progressivement, film après film : le voilà qui compose encore une fois un personnage difficilement aimable – Red Rocket est un autre bon exemple – , soit une décision de caractérisation finalement trop attendue, et surtout relevant d’un systématisme quelque peu vaniteux. Sans égaler celle des frères Safdie, l’énergie que Sean Baker déploie dans ses films demeure un atout, après tout, malgré tout, alors on jetera encore un œil à son prochain.
ANORA de Sean Baker (Etats-Unis, 2014), un film de Sean Baker, avec Mikey Madison, Mark Eidelstein, Youri Borissov, Karren Karagulian. Sortie en France non déterminée.