Entretien avec Juichiro Yamasaki, réalisateur de YAMABUKI : « Filmer l’équilibre entre les joies et les drames, cette alternance qui donne du relief à l’existence »
Présenté à l’ACID, Yamabuki est une proposition à part dans le cinéma japonais, qui associe rudesse et douceur. Rencontre avec son réalisateur Juichiro Yamasaki, qui nous parle de la genèse et des motivations de ce film au plus près de la réalité de l’endroit qui l’a vu naître.
Vous avez un parcours atypique, pratiquant le cinéma en marge de votre activité principale qui est l’agriculture. Comment cela fonctionne-t-il pour la production, l’écriture ?
Mon travail d’agriculteur suit le cycle des saisons, et prend donc essentiellement place d’avril à novembre, mais avec une intensité variable, ce qui permet à mon activité de cinéaste de trouver sa place quand j’ai du temps. Ce serait évidemment formidable si les deux pouvaient s’agencer harmonieusement, mais ce n’est bien sûr pas le cas. Il y a souvent des moments où les deux activités me réclament simultanément, et je passe alors beaucoup de temps à essayer de faire avancer les deux.
Les personnages principaux comme les rôles secondaires sont tous très fouillés, avec des aspects positifs autant que négatifs.
Les personnages récurrents, au nombre de six, sont tous joués par des acteurs professionnels. J’avais écrit chacun d’entre eux avec autant de détails dans leur description, leur parcours, car mon intention était alors de faire un film choral. Mais au montage, deux lignes se sont distinguées, alors que beaucoup d’autres choses ont été tournées, par exemple pour la compagne de Chang-su ou pour le père de Yamabuki. Mais c’est tant mieux si cela se ressent encore que tous les personnages ont une humanité complexe. Les méchants désignés peuvent être bons, et les bons peuvent avoir des défauts. Il faut dépeindre ces deux facettes de chaque personnage.
Le film est à la fois très intime, se déroulant dans un lieu reculé du Japon, et il est en même temps très concerné par les désordres du monde, les migrations, les manifestations, les guerres.
Manima, où je vis et où le film se déroule, est un petit village d’une région assez reculée, mais pas coupée du monde pour autant. En y vivant au quotidien, je vois bien que la population se sent fortement concernée par les problèmes du monde. Je trouvais intéressant de montrer aux spectateurs cette connexion entre le local et le général, tout en restant sur une échelle intime.
Cela m’intéressait de réfléchir à cette notion des valeurs, lesquelles sont importantes pour chacun d’entre nous
Il y a un équilibre délicat qui se met en place, entre le refus d’enjoliver la vie des personnages, et néanmoins le souhait de les soutenir, presque les protéger par la mise en scène.
Cela me fait plaisir que vous l’ayez interprété de la sorte. Je ne sais pas si c’est de la bienveillance ou de la gentillesse, ou simplement la continuité de ce que l’on évoquait plus tôt sur l’humanité des personnages, la balance entre bon et mauvais en chacun de nous. Il y a aussi un équilibre entre les joies et les drames, une alternance qui donne du relief à l’existence ; si l’on était constamment dans un seul de ces états, la vie perdrait de sa saveur. Ces mouvements par vagues m’intéressent, me touchent, ne parler que du côté tragique des choses était envisageable mais je n’en avais pas envie.
Quelles ont été vos influences pour Yamabuki ?
Un réalisateur que j’admire particulièrement est Robert Bresson, et surtout son film L’argent, la manière qu’il a de construire avec peu de mots, essentiellement par les images, un récit très fort qui donne à voir comment l’argent circule et amène le malheur à ceux qui l’ont entre les mains. C’est un de mes films de référence. D’ailleurs, une des significations du mot yamabuki est argent, pot-de-vin. Mais il est aussi nécessaire de réaliser qu’il existe des valeurs supérieures à l’argent, par exemple la famille pour le personnage de Chang-su. Cela m’intéressait de réfléchir à cette notion des valeurs, lesquelles sont importantes pour chacun d’entre nous.
Je voulais ajouter un mot, sur le fait que le film a été sélectionné à l’ACID. Je trouve cela très cohérent, car cette section met en valeur la diversité du cinéma, elle est très différente de l’image que l’on se fait de Cannes, le glamour, les paillettes.
Je suis également très impressionné par les dispositifs d’éducation à l’image qui existent en France. Il y a deux ans, j’ai eu la chance de venir faire une étude sur ces dispositifs et j’espère pouvoir importer le concept, son idéal de curiosité et d’éveil, afin de montrer des films différents au Japon. À Manima, il n’y a pas de cinéma, il faut prendre sa voiture et rouler plus d’une heure pour atteindre une salle. Ce serait bien de pouvoir réduire les inégalités d’accès au cinéma entre les enfants au Japon, avec de tels dispositifs dans les écoles.
Notre critique de Yamabuki est à lire ici.
Le 75ème Festival de Cannes s’est déroulé du 17 au 28 mai 2022.