DON’T WORRY DARLING (et GIRASOLES SILVESTRES) : quand les bonnes intentions ne font pas de bons films

Hasard des programmations de festivals : deux films que tout oppose, mais dont le visionnage l’un à la suite de l’autre révèle qu’ils racontent la même histoire, et partagent les mêmes tares. C’est le cas de la grosse machine hollywoodienne Don’t worry darling et du film d’auteur espagnol Girasoles silvestres, découverts à San Sebastian : crier « patriarcat caca » (ce qui est toujours une bonne chose en soi) ne suffit pas à les rendre bons, loin de là.

Il ne faut pas aller aux toilettes au mauvais moment de la séance, si l’on ne veut pas risquer de rater le moment où Don’t worry darling énonce sa dénonciation de l’oppression patriarcale : une courte scène, celle de la révélation du pot aux roses derrière l’apparente perfection, reprenant tous les archétypes de l’imagerie publicitaire du bonheur américain des années 1950, de la communauté du « projet Victory » qui tient lieu de cadre au film. Après ce twist (qui n’en est pas vraiment un, tant il est évident dès les premiers instants que quelque chose cloche), il restera une poursuite en voiture devant beaucoup à Matrix et une pichenette finale qui lorgne sur Vanilla sky ; avant lui, il y a eu une heure et demie de surplace, croulant sous les influences (face auxquelles le film, malhabile et lourdaud quand il se croit sophistiqué et adroit, ne fait pas le poids) et ne parvenant à faire émerger aucun enjeu autre que l’attente d’apprendre la nature de ce qui cloche.

La machine à rêves hollywoodienne fonctionne encore sur certain.e.s – dommage qu’il s’agisse de personnes parties pour réaliser un film censé dénoncer de tels miroirs aux alouettes

C’est dans ce vide – au milieu duquel Florence Pugh se débat au moins autant que son personnage, et est la seule devant ou derrière la caméra à réussir à générer de l’empathie, des réactions – qu’est tapi le diable qui conduit le film à sa perte. Car à quoi assiste-t-on durant tout ce temps sans dénonciation concrète ni réel malaise ? À son exact opposé, puisque le film prend alors un plaisir évident à se lover dans sa reconstitution léchée d’un monde utopique, esthétiquement parfait à tous points de vue – décors, photographie, bande-originale, accessoires, rien ne fait tâche. La machine à rêves hollywoodienne fonctionne encore sur certain.e.s – dommage qu’il s’agisse de personnes parties pour réaliser un film censé dénoncer de tels miroirs aux alouettes, et qui au lieu de cela tombent en plein dedans, enchaînant ad libitum pour elles, ad nauseam pour nous, des séquences glorifiant la mystification bâtie sur l’asservissement dont le rejet était l’objectif initial.

Cela conduit à au moins deux moments assurément malaisants : le seul personnage noir sacrifié au terme du premier acte, en guise d’avertissement à l’héroïne blanche, comme dans les pires clichés narratifs qui ont visiblement la peau dure ; et le public rendu complice malgré lui du spectacle de ce qu’il faut bien appeler un viol, même si le film ne le fait jamais même une fois que les masques sont tombés et que l’ordre en place a été renversé. Peut-être Don’t worry darling ne voulait-il lui-même pas réellement être renversé, et voir son bonheur factice être bousculé – après tout, la présence du monde réel y est réduite à la portion congrue (un choix aberrant, car il laisse béants un nombre ahurissant de trous du scénario), et la réalisatrice Olivia Wilde y incarne l’une des deux seules femmes participant de son plein gré à la mascarade. La cohérence de ce choix avec ceux qu’elle fait derrière la caméra est la seule chose qui fait sens dans ce film.

Girasoles silvestres force sur l’arbitraire du mélodrame, piégeant ses personnages dans des situations établies d’entrée comme étant insolubles

Avec Girasoles silvestres, Jaime Rosales a au moins pour lui de nous raconter son histoire suivant une ligne claire, sans secrets ni non-dits. Rosales a réalisé plusieurs films maniérés au point d’en devenir parfois arides malgré leur force esthétique (La soledad, Rêve et silence, Petra), et un plus classique, La belle jeunesse. Girasoles silvestres fait se rejoindre ces deux facettes, avec son récit limpide – les relations de couple d’une femme, jeune mère de deux enfants, avec trois hommes successifs, qui la maltraitent tous de manières différentes mais tristement banales – rehaussé par une mise en scène puissante (avec en point d’orgue une séquence de discothèque épatante). Il force malheureusement sur l’arbitraire du mélodrame, piégeant ses personnages dans des situations établies d’entrée comme étant insolubles. Ils s’en trouvent transformés en instruments de sa démonstration anti-patriarcale, valide, juste, nécessaire, mais qui manque trop de souffle et de vie.

DON’T WORRY DARLING (États-Unis, 2022), un film de Olivia Wilde, avec Florence Pugh, Harry Styles, Chris Pine. Durée : 122 minutes. Sortie en France le 21 septembre 2022.

GIRASOLES SILVESTRES (Espagne, 2022), un film de Jaime Rosales, avec Anna Castillo, Oriol Pla, Lluis Marques. Durée : 107 minutes. Sortie en France indéterminée.