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Un procureur fraîchement sorti d’école prend son premier poste dans une ville perdue dans le désert et en proie à des problèmes récurrents de pénurie d’eau. Il se retrouve immédiatement la cible des tentatives de séduction et d’intimidation des notables locaux, qui profitent de la situation plus qu’ils ne cherchent à la résoudre, sûrs que leur pouvoir d’influence sur le terrain est plus fort que le pouvoir officiel des lois et institutions.
Burning days est découpé en quatre chapitres, dont le premier et le dernier font une énorme impression ; malgré le relatif trou d’air des deux du milieu, qui tirent quelque peu à la ligne, cela est largement suffisant pour en faire un film de très haut niveau. Il s’ouvre (et se refermera) sur une vision sidérante, d’un affaissement de terrain semblable à un cratère de météorite, causé par la surexploitation des nappes phréatiques. Sans nous laisser le temps de souffler, le réalisateur Emin Alper enchaîne avec une démonstration de force de la part des maîtres de la ville, à l’attention du héros Emre et du public, quasiment un court-métrage en soi où on les voit parader en conduisant comme des fous et en tirant des rafales en l’air dans les rues au prétexte d’une battue de sangliers égarés. La tension atteint déjà un degré considérable, et ne fait encore que s’accentuer au fil des rencontres d’Emre avec les personnages qui comptent – et qui sont nommés par leur fonction : le maire, l’avocat, le dentiste, la juge… Des rencontres qui tournent invariablement à la confrontation, chacune ajoutant un sujet de conflit potentiel à venir : la corruption autour de la question des ressources en eau, la disparition louche du prédécesseur d’Emre, l’attirance homosexuelle entre lui et le journaliste d’opposition de la ville. Ce premier acte s’achève par une séquence inouïe et irrespirable de dîner, où l’invitation cache un piège, et les attentions des hôtes d’Emre autant d’actes – le gaver d’alcool, de musique, de danse et de vidéos de chasse – qui finissent par confiner à la torture et le font se réveiller le lendemain matin sans souvenirs de la nuit, alors que surgit une plainte pour viol dont il est l’enquêteur tout en étant possiblement impliqué.
C’est cette partie médiane du récit qui est la moins convaincante, les investigations d’Emre sur les deux plans, ses souvenirs parcellaires et la piste de ses ennemis, tournant en rond sans apporter de réels éléments nouveaux au fond du récit, voire en délaissant même certaines pistes dignes d’intérêt. La forme (mise en scène, photographie, montage) reste quant à elle sans faute, incandescente, avant d’exploser dans le dernier acte de cette histoire de fous. Le précédent long-métrage d’Alper, Abluka, utilisait la banlieue d’Istanbul comme scène de son propos sur une Turquie sur le point de vriller. En s’éloignant cette fois dans une région encore plus reculée, le cinéaste semble faire sauter la dernière digue protégeant contre le déferlement des démons du pays, lequel s’opère suite à une victoire en bonne et due forme dans les urnes. La nuit des longs couteaux qui suit le jour des élections est un cauchemar despotique et haineux – sans réveil apparent au bout du tunnel – porté sur grand écran, où les notables, une fois la majorité populaire assurément de leur côté, font donner à cette dernière la chasse à toutes les minorités gênantes : journalistes, procureurs, homosexuels, gitans – les femmes n’avaient déjà plus droit de cité, confinées derrière les murs de leurs maisons tandis que l’espace public est monopolisé par les hommes, les chasseurs. Une telle chasse à l’autre, à la différence, évoque des cauchemars pas si loin d’arriver sans avoir à aller les chercher jusqu’en Turquie. Alper nous amène au bord du gouffre et nous laisse là, inquiets de ce qui va suivre.
BURNING DAYS (Kurak Günler, Turquie, 2022), un film d’Emin Alper, avec Selahattin Pasali, Ekin Koç, Erol Babaoglu. Durée : 128 minutes. Sortie en France le 17 août 2022.