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Après Winter Brothers, l’islandais Hlynur Pálmason confirme tout son talent pour la mise en scène. Souvent brillant, A White White Day n’en est pas moins un cas singulier de second film accusant plus d’erreurs de jeunesse que le premier.
Comme s’il n’avait jamais réalisé le fascinant et glaçant Winter Brothers deux ans plus tôt, Hlynur Pálmason débute A White White Day par deux séquences accolées semblables à une démonstration de force : un plan-séquence en mouvement suivant une voiture jusqu’à un mini climax scotchant, puis une succession de plans sur une maison, multiples raccords dans l’axe filmés à distance, travaillant encore l’espace mais aussi le temps, les conditions climatiques changeantes constituant de réjouissants faux raccords. Une introduction sous forme de précis de grammaire cinématographique qui, sans nier son utilité narrative, se reçoit comme tel, en plus de délayer sciemment et sereinement notre rencontre avec le protagoniste, Ingimundur.
Une fois sa caméra à l’intérieur de la maison, Pálmason s’amuse encore avec la spatialité du lieu pour perdre et rattraper les personnages, du propriétaire d’âge mûr à sa petite fille, jusqu’à tomber nez à nez avec un cheval dans une des pièces. Rien de déplaisant jusque là, bien au contraire, mais il faut attendre quelques minutes encore et une scène chez un psychologue pour qu’Ingimundur nous apprenne le décès récent de son épouse, et que les spectatrices et spectateurs parviennent enfin à isoler un enjeu dramatique (un deuil à travailler, une vie à reconstruire). Mais le plus intéressant est de voir par quel procédé Pálmason nous transmet cette information : le patient est invité à se décrire lui-même par son interlocuteur, et ce faisant en vient à dire « homme » puis « policier » et enfin… « veuf ». C’est ainsi que les distances se creusent : on ne dit pas qu’une personne est morte mais que celle qui partageait sa vie l’a perdue. Le film va dès lors explorer ce qui sépare les personnages, ce gouffre auquel les décors font écho, qu’il s’agisse des étendues neigeuses ou du ravin dans lequel une voiture s’enfonce dès la première séquence ; Pálmason tirera de cette image originelle un suspense un peu roublard mais fonctionnel (qui conduit ? est-ce un flashback ou un flash-forward ?). Le second rendez-vous d’Ingimundur chez le psy sera plus étrange que le premier, et pour cause : un nouveau fossé vient de se creuser, et des plus tangibles : n’ayant pu se rendre physiquement sur place, le docteur s’entretient avec lui à l’aide d’un écran. Le contenu de la discussion le mettant hors de lui, l’homme s’en prend à l’objet. Quelques heures plus tard, ses collègues du commissariat lui reprochent d’avoir « agressé son psychologue », ce qu’il réfute avec ardeur, précisant qu’il s’est uniquement attaqué à un moniteur d’ordinateur (!).
Plus tard dans le film, Pálmason creuse encore le sillon, en profondeur bien sûr : il montre la petite fille d’Ingimundur qui déroule un mètre et calcule ainsi la distance qui la sépare de lui à ce moment donné. Ce geste symbolique, et de fait parfaitement constitutif de la réflexion globale de Pálmason sur la menace de l’isolement et de l’aliénation dans les relations humaines, aurait pu apparaître trop lisible, or il est ici très discret, parce qu’introduit avec nonchalance par le réalisateur comme le personnage, montrant seulement l’enfant s’amuser avec l’objet et sans même la faire commenter son geste. On comprend au fur et à mesure que toutes ces marques de mises à distance servent aussi à seconder une autre information bientôt essentielle au sein du récit, tant elle va régir son intrigue, et a fortiori son intrigue de suspense, en l’occurrence la découverte d’un adultère qui fait douter le protagoniste a posteriori : connaissait-il vraiment sa femme ? Étaient-ils aussi fusionnels qu’on le lui dit aujourd’hui, ou bien une zone invisible d’incompréhension les séparaient-ils au point qu’elle en soit venue à se rapprocher d’un autre ?
La manière dont rebondit cette intrigue est sans doute très calculée, mais dans la diégèse du film, c’est tout l’inverse selon Pálmason : son histoire de vengeance est même chaotique, et il le soutient et l’illustre notamment à travers une belle scène où Ingimundur jette une pierre lui barrant la route, et durant laquelle il s’attache non pas au personnage pouvant reprendre son chemin une fois le geste accompli mais à la chute de l’objet. On suit alors la pierre qui dévale une pente, elle est anguleuse et fuse à vive allure, si bien qu’on en vient presque à se protéger à chaque cut de peur qu’elle ne traverse l’écran. Pálmason parvient ainsi à instiller la notion d’imprévisibilité au sein d’un récit pourtant manifestement très bordé. Or, ce n’est pas cette dichotomie entre le discours et sa maîtrise un peu trop manifeste de ses propres éléments narratifs qui empèsent le film ; en revanche, ce sont des images annexes, qui manquent de naturel, de simplicité et plus encore d’originalité qui vont in fine abîmer quelque peu A White White Day.
A mi-parcours, ou presque, Pálmason stoppe subitement le défilement narratif pour intégrer une séquence proche du cinéma-vérité ou -direct, une fausse greffe du réel avec des plans fixes successifs des différents personnages du film regardant directement l’écran. Naomi Kawase avait fait exactement cela vers la fin de Moe no Suzaku mais c’était il y a près de 20 ans (la même année que Le goût de la cerise d’Abbas Kiarostami et son autre irruption finale et inattendue du réel, d’ailleurs). Depuis lors, ce gimmick a été vu et revu, et s’y adonner aujourd’hui relève presque de l’erreur de jeunesse. Quand on a réalisé Winter Brothers au préalable, et avec confiance et maturité, c’est d’autant plus regrettable. Puis la conclusion du film laisse elle aussi un gout amer : sans dévoiler le fond, disons seulement que le travelling avant sur Ingimundur n’est pas des plus subtils, et que l’image fantasmée en contre-champ est quant à elle prévisible et presque poussive. Mais le plus problématique reste qu’avec cette ultime séquence Pálmason nous invite à partager l’émotion du personnage et ce, sans doute pour la première fois du film. Alors on réalise que c’est un engagement délicat parce que cet homme-là n’est pas très aimable, parce que cet homme-là, depuis le début, on ne l’apprécie pas beaucoup. Et ceci n’était pas un problème en soi, seulement il était préférable de ne pas avoir à se poser la question, ce que la profusion d’idées ingénieuses et souvent très belles avec lesquelles Pálmason nous abreuvait jusqu’alors aura longtemps rendu possible.
A WHITE WHITE DAY (Hvítur hvítur dagur, Islande-Danemark-Suède), un film de Hlynur Pálmason, avec Ingvar E. Sigurðsson et Ída Mekkín Hlynsdóttir. Durée : 109 minutes. Sortie en France prochainement via Urban Distribution.