OFF FRAME : champs et contre-champs

Off frame ou la révolution jusqu’à la victoire a remporté le prix du meilleur documentaire lors de l’édition 2017 du Cinemed à Montpellier. S’appuyant essentiellement sur des images d’archives, Mohanad Yaqubi questionne la construction du peuple palestinien depuis la création de l’état israélien.

 

Une bobine. Mohanad Yaqubi place doucement la pellicule sur un vieil appareil des années 70. Après quelques images d’archives en introduction, telle une dissertation scolaire sur la Palestine, Yaqubi ouvre le film avec la voix de Jean-Luc Godard expliquant la lecture d’un événement selon deux photos : l’une palestinienne, l’autre israélienne. Résonne «Champ… contre-champ… Champ… Contre-champ». Tout est histoire de prisme et de lecture. Sujet sensible : comment parler du conflit aujourd’hui, d’autant plus en étant palestinien ? Yaqubi s’en accommode, avec une contrainte unique : le montage. Utilisant des images déjà existantes, le film permet la plongée dans des témoignages difficiles à trouver de nos jours. Pour preuve, la volonté des israéliens de ne promouvoir que leur partie de l’histoire. Le réalisateur fait alors le pari de montrer à un autre temps donné les tenants et aboutissants de la naissance du conflit.

C’est l’effet Koulechov à l’échelle d’un long-métrage ! Yaqubi est dans le challenge, dans la définition anglophone du terme : mettre en perspective, questionner. À des paroles palestiniennes où le combat n’est qu’amour, où l’ennemi est absent, où la seule victoire semble non pas la destruction mais bien la réappropriation de l’espace, il oppose des images d’hommes et de femmes armées. Tout fonctionne en miroir teinté : le discours et les actions. Il montre des corps, des cadavres, des explosions, de la pauvreté. Puis passe aussi sur des images des écoles où les enfants apprennent que la seule victoire palestinienne passe par les armes et non pas les négociations. L’histoire se dessine. Les hommes et les femmes deviennent silhouettes, keffieh qui ne font apparaître que des yeux. Puis des images de Munich, référence violente et visuelle : ces hommes à des balcons, cagoules menaçantes. La peur agrippe le spectateur. Puis Yaqubi y oppose le résultat d’attaque aérienne de la part d’Israël : visions de blessés, de souffrants, de malheurs. On prend alors la conscience de l’accumulation, du cercle vicieux qui se forme.

Même en remontant dans le passé, la création se heurte à l’effacement d’une parole. La voix de la Palestine a été coupée.

Yasser Arafat à l’écran, incisif : «Nous avons attendu, nous attendons depuis trop longtemps». Telle la dernière séquence de Bloody Sunday de Paul Greengrass (2002), l’emballement. La querelle de voisinage devient engagement obligatoire. Face à une Israël où le service militaire est obligatoire pour presque tous les jeunes à partir de 19 ans, la Palestine forme des guerriers. Lavage de cerveau de chaque côté. Les armes se font plus présentes à l’image alors que l’on avance dans le temps (du film et de l’Histoire). Loin déjà l’image de Vanessa Redgrave assise dans le désert et qui parle de cet étrange et beau pays qu’est la Palestine. Si le réalisateur avait du contenu en évoquant les années 1960, avec des voix off et vidéos extraites des journaux télévisés d’autres pays, il ne lui reste qu’un seul modus operandi pour finir son film : la vidéo d’une école palestinienne dans les années 1990. Le discours s’est pacifié, apaisé. Des cartons indiquent qu’elles ont été récupérées dans différents festivals mais que les originaux sont introuvables. Il n’y aura pas d’autres preuves visuelles et sonores de la situation dans le pays à partir de ces années. Le récit de Yaqubi finit un peu à plat, comme un soufflé qui redescend.

Reproche facile : pourquoi ne finir que sur cela ? pourquoi ne pas nous en donner autant à voir la fin qu’au début du film ? Le spectateur se sent lésé. Pourtant, il a en face de lui une vérité. L’absence de preuve, de discours, de monstration. Ce discours n’est plus disponible, pas même à l’homme qui ne se base que sur d’anciennes images, qui n’a pas accès à l’image contemporaine. Même en remontant dans le passé, la création se heurte à l’effacement d’une parole. La voix de la Palestine a été coupée. Avec une certaine mollesse, in fine, réalisateur rappelle que la situation a été épuisée, que le passé n’a pas de réponse, qu’il n’a plus de possibilité de parler, de se battre, de se défendre. Sans voix à faire entendre depuis 30 ans, Yaqubi finit son film à l’image de son pays : contraint, muselé. Même en suivant sa contrainte de ne pas filmer, le réalisateur ne peut pas montrer d’images actuelles. Elles n’existent pas. Dans ces dernières images, des enfants chantent l’hymne non officiel d’un état non reconnu, autour du drapeau d’un pays qui n’existe plus.

 

OFF FRAME ou la révolution jusqu’à la victoire (Palestine-France-Qatar-Liban, 2016) un film de Mohanad Yaqubi. Durée : 62 minutes. Sortie en France non déterminée.

 

Sarah Arnaud
Sarah Arnaud

Cinéphile de petite section avec des avis tranchés, insensés, catapultés. Par exemple : j'aimerais que tous les films soient la scène d'ouverture de All that jazz. En boucle. Jusqu'à la fin des temps.

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