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L’Acharnière a fêté ses 37 ans cette année. De l’idée d’un modeste club-vidéo étudiant à un rendez-vous quasi-quarantenaire, on en est venu à une belle aventure locale, une « Aventure délicate » d’ailleurs, du nom de l’association qui l’organise. Ce festival a donc pour ADN (plutôt sain) d’être indépendant et amateur. Son crédo ? La mise en valeur de ce triangle, cette « relation entre celui qui filme, celui qui est filmé et le spectateur ».
Le premier objectif du festival est de favoriser les rencontres entre le spectateur et des productions régionales, mais pas seulement. Le second : la di-ver-si-té, tous les genres sont permis. Du documentaire surtout, de la fiction, un peu, de l’animation, aussi. Panorama de certaines œuvres primées… et d’autres.
Les Héritiers, un titre simple mais qui parle à tous. Celui du film de Maxence Voiseux, et qui reçoit le Grand prix du jury et une mention pour le Meilleur montage. C’est l’histoire, ou ce sont plutôt les histoires d’Hubert, Thierry, et Dominique, trois frères qui se partagent le travail dans leur exploitation familiale de l’Artois, territoire du Pas-de-Calais. Acheter les bêtes, les engraisser, puis les dépecer, direction le boucher, où c’est une autre histoire qui commence. Une équipe et sa routine, de la naissance à la mort des bovins. Mais aussi la peur et le doute en ce qui concerne le futur de la nouvelle génération. Comment assurer la relève, la méthode, l’amour de ce métier aux enfants, mais surtout s’interroger : vont-ils s’en emparer ? Tous sont des personnages de cinéma, du patron au «fils de». Maxence Voiseux a pris beaucoup de précautions pendant un mois, au milieu de cette famille qui se croise, qui collabore, qui parle donc, parfois. Et même à la caméra, au retour de l’abattoir.
Transmission encore, avec Un figuier au pied du terril, de Mehmet Arikan, Nadia Bouferkas et Naim Haddad. La classe à l’état brut. Celle qui a construit ces familles de Libercourt, dans le Pas-de-Calais. À travers les témoignages de Nanass et d’Hélène, deux grand-mères au destin similaire : la première, arrivée d’Algérie en décembre 1963, qui en prenant le train de Marseille à Douai, découvre le gel et le froid, son bébé dans les bras ; la seconde, d’origine polonaise, souffle quelques mots d’une ancienne comptine, entre deux mots confiés face caméra, davantage accrochée à son déambulateur qu’aux souvenirs.
Elles racontent leur aventure française. Nanass, comme déracinée, telle son figuier, arrivé en même temps qu’elle sur cette terre, dans les baraquements des Six-Drèves. quartier de la fosse 5. Planté, majestueux, au milieu de la petite cour, mais sans fruits. Femmes de mineurs, immigrées. Dans ce documentaire, on retrouve la domination masculine, la silicose, la colonisation, les corons et cette fosse 5, Cinquante ans après, les mémoires s’écoulent, dans la cuisine, le salon de Nanass et d’Hélène, dans la rue qui autrefois séparait les baraquements ouvriers des maisons de “porions”, les contremaîtres.
Parmi les productions récompensées, on trouve aussi Tezen, qui reçoit la mention « première œuvre ». Réalisé par la jeune Shirley Bruno, ce film est tiré d’un conte traditionnel d’Haïti, d’où elle est originaire. Il part de l’onirique pour s’infiltrer au cœur de la famille, dans une quête filmée de la pureté, de l’autre et de l’envers du non-dit.
Des productions du cru, donc, du Ch’nord et du Pas-de-Calais. Des terrils, des mineurs, le monde du travail et cette année, forcément, un camp. Ou plutôt un bidonville, celui de Calais. C’est en tout cas le mot choisi par la réalisatrice du documentaire Faraja, le chemin de l’espoir. Le tout premier pour Isabelle Grenet, qui a posé sa caméra pendant onze mois dans la lande, sous les tentes, sur les tables de cuisine des bénévoles, au milieu des Soudanais, des Erythréens, des Afghans, des Sénégalais. Seulement, une heure dix c’est peut-être trop, soixante-dix minutes qui auraient gagné à être plus ramassées. Isabelle Grenet a visiblement eu du mal à choisir ses images. Mais il faut reconnaître à la réalisatrice d’avoir souhaité passer aux côtés des migrants les moments les plus difficiles, pluvieux, boueux, mais aussi surprenants et emprunts de solidarité. D’avoir posé sa caméra quelques instants, pour un répit, dans la caravane de Jawad (22 ans) et son petit frère Ahmad (6 ans), dont le rêve est de posséder un vélo. Grenet détaille aussi un court moment, qui relève moins du répit, auprès des forces de l’ordre, pour leur demander leur propre point de vue sur le travail de surveillance quotidienne qu’ils fournissent sur le camp.
L’un des petits plaisirs que s’offre l’équipe de l’Acharnière chaque année, c’est sa Carte blanche. Cette fois encore, comme pour la 36e édition, elle est donnée à l’Iran. Et plus particulièrement à Janine Halbreich-Euvrard et Carol Shyman (organisatrices de la biennale Proche-Orient : que peut le cinéma ?). Mais ce fut aussi l’occasion de découvrir Talk Radio Tehran, un documentaire né dans la tête de Mahtab Mansour en 2009, au moment de la réélection d’Ahmadinejad et de la révolution “verte” qui s’ensuivit. Ce moyen-métrage a été tourné en dix jours, sous la pression politique et aura attendu 2014 pour être monté. Cela donne un concentré de décalé, de moteur au féminin. Car les trois portraits dressés en 38 minutes chrono sont bien choisi(e)s. Avec à la fois comme voix narrative et bande originale, la station de radio publique, Talk Radio qui accompagne Madame Nosrat, première conductrice de bus de Téhéran, Zoreh, élégante championne de courses rallye, et enfin Sepideh et ses collègues, premières et uniques “pompières” de la capitale. La radio, inutile sans oreilles, ni derrière son volant. Car les ondes passent aussi bien dans l’habitacle des véhicules, et c’est bien ce qui réunit ces femmes. Elles, qui ont toutes gagné leur place et ce droit à conduire, à emmener leurs concitoyens où ils ont besoin, à rouler jusqu’à eux pour les sauver… ou bien pour les doubler.
Pour finir, chaque deuxième partie de soirée a été consacrée au réalisateur cubain Santiago Alvarez, co-fondateur de l’ICAIC, l’Institut Cubain de l’Art et de l’industrie cinématographique en 1959 (dans la foulée de la révolution cubaine). Une dizaine de ses documentaires, de ces « actualités » de l’époque ont été projetés, de la vie du Che à l’internationalisme, en passant par la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. « Des films didactiques, qui nous apprennent à penser en images », souligne Louisette Faréniaux, la cheffe du festival.
Grâce à l’INA, les organisateurs du festival ont retrouvé des bandes de l’ICAIC restaurées et offertes au public. Ce sont des images très rares : Fidel Castro auprès des victimes de l’ouragan Flora en 1963, Castro auprès d’un vieillard qui a eu la chance de croiser, enfant, José Marti, figure historique légendaire en Amérique Latine. Mais c’est aussi le spectre de la CIA qui s’invite au-dessus de l’Histoire argentine ou chilienne, qui en prend le contrôle ou en tout cas se fait rouage, pour écrire le destin de ces deux pays avec leur propre sang.
Et aux confluents de toutes ces productions, l’ombre d’Armand Gatti, qui flotte au-dessus des spectateurs, l’œil absorbé par El otro Cristobal, le dernier jour du festival. Ce film devait représenter Cuba au festival de Cannes en 1963 mais des pressions se font sentir, et le réalisateur fit une grève de la faim en protestation. Son film recevra d’abord le Prix de la critique avant qu’il ne soit annulé. Le réalisateur, disparu il y a tout juste deux mois, intègre donc à titre posthume cette famille travailleuse, exotique et acharnée qui compose ce festival nordiste bientôt quadragénaire.
PALMARÈS
Grand Prix du Jury
Les héritiers de Maxence Voiseux
Prix de l’Acharnière
Un figuier au pied du terril de Nadia Bouferkas, Mehmet Arikan et Naïm Haddad
Prix Pictanovo
Pump de Joseph David
Prix de l’innovation
I made you, I love you de Alexandru Petru Badlita
Mentions :
Première œuvre : Tezen de Shirley Bruno
Meilleur montage : Les héritiers de Maxence Voiseux
La 37ème édition du Festival L’Acharnière s’est déroulée du 2 au 4 juin 2017 à Lille.