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A la fois charnel et mental, quelque part entre Taken, Taxi Driver et Psychose, You were never really here tire parti des talents conjugués de l’acteur Joaquin Phoenix et du compositeur Jonny Greenwood, et retrouvés par Lynne Ramsey, à son meilleur depuis Ratcatcher (1999).
A la fin d’American Psycho, il y avait ce doute, plus que prégnant, que les exactions meurtrières de Patrick Bateman n’aient jamais été que le fruit de son imagination. Lynne Ramsay, elle, ne rend pas même l’hésitation explicite dans You were never really her.
Il nous faut prendre du recul, ressasser des scènes passées que l’on aura échoué à raccorder à d’autres, pour admettre que le corps du film en lambeaux indique qu’à terme, s’il avait duré plus que ses 80 petites minutes par exemple, il n’en serait peut-être rien resté, du sable filant entre nos doigts. Juste le fantôme d’une histoire qui n’était pas vraiment là. La façon dont Ramsay fait émerger ce sentiment tient notamment à son montage syncopé, et plus particulièrement aux saisissants flashbacks sur les improbables vies passées de Joe. Le protagoniste joue un marginal, engagé pour retrouver Nina, la fille d’un sénateur, et semble avoir été écrit comme un descendant brutal et impénétrable de Travis Bickle dans Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976). Le personnage prend ici les traits, les muscles, les stigmates, les courbes changeantes d’un Joaquin Phoenix mutant.
Les souvenirs du personnage, flash rapides, sont multiples : ceux d’une enfance maltraitée, durant laquelle Joe aurait peut-être été l’enfant de Ratcatcher – à le voir s’enrouler dans un sac, frôlant sciemment l’étouffement, tel cet autre pré-ado filmé par Ramsay il y a près de vingt ans ; ceux d’un soldat engagé dans un conflit au Moyen-Orient ; ceux d’un agent du FBI découvrant un trafic qui va le traumatiser. Quelques secondes à peine, des mirages presque. Des cicatrices, qui se matérialisent visuellement et qui sembler lancer Joe, de temps en temps. Ils nous perturbent autant que lui.
Ratcatcher (Lynne Ramsay, 1999)
Ici accompli par Joe Bini (fidèle de Werner Herzog), le montage a pris une importance considérable au fil de l’œuvre de Lynne Ramsay, jusqu’à réduire la narration disloquée de We need to talk about Kevin à une afféterie assommante et stérile en 2012. Le jour et la nuit puisqu’il retranscrit parfaitement l’esprit de Joe dans You were never really here, dans ce qu’il a de plus intangible. Mais c’est le montage sonore et les musiques signées Jonny Greenwood, connu en tant que membre de Radiohead, qui élèvent plus encore l’exploration quasi mentale que devient le film au cours de la nuit décisive que vit Joe. Le compositeur, que l’on croyait fidèle de P.T Anderson, s’avère l’être presque autant de Joaquin Phoenix, après l’avoir accompagné dans The Master et Inherent Vice.
Admirables sont les musiques de Greenwood quand les percussions s’emballent, pendants du palpitant de notre héros pantelant. La tension musicale se fait remarquer vers le début du film quand on le suit dans les couloirs d’un immeuble après avoir achevé un forfait sanglant. Et l’on songe à «Convergence», titre de sa b.o du documentaire BodySong, réutilisé dans There Will Be Blood (Paul Thomas Anderson, 2008) pour la scène décrivant le retour de Daniel Plainview après qu’il a… abandonné son fils. Plus tard dans le film, Joe arpente à nouveau quelques couloirs, ceux de la maison de l’homme qui aurait kidnappé la jeune Nina, et cette fois résonnent des compositions proche de son travail collectif Junun, album dont l’enregistrement a été filmé par P.T Anderson en 2016, inspiré par le genre musical pakistanais du Qawwali, et plus spécifiquement ici son traditionnel quatrième mouvement, éveil du morceau quand le rythme est imposé par le tabla et les clappements de main, et qui incite à la transe. Forcément, nous ne sommes pas loin d’atteindre cet état avec les ondes que nous envoient Ramsay, Greenwood et Phoenix, main dans la main.
Bientôt, Greenwood ose tout : des raccords musicaux pièce par pièce, misant à fond sur la valeur intra-diégétique de la musique entendue dans l’hôtel particulier où Joe espère retrouver Nina, nous plaçant au plus près du ressenti du personnage puisque la piste sonore correspond à l’exacte perception qu’il en a ; des contrepoints doucereux et fifties chez le ravisseur de Nina, comme dans le bande-originale de The Master ; des violons puissants à mi-parcours rappelant la musique la plus célèbre de Psychose, que Joe aura explicitement joué à la bouche plus tôt dans le film.
En résulte une composition musicale et sonore vouée à nourrir le film, et surtout à troubler les repères du spectateur, à questionner la réalité des images qui se joignent à elles, puisque les mélodies se perçoivent tour à tour comme preuves d’un récit réaliste, ironique ou référentiel.
On l’aura dit, Ramsay n’a pas livré son film clé en main, mais le plus admirable reste alors que You were never really here ne déroute pas pour autant, il se reçoit avec simplicité, la simplicité d’un uppercut mais simplicité néanmoins.
WE WERE NEVER REALLY HERE (Grande-Bretagne, 2017), un film de Lynne Ramsay, avec Joaquin Phoenix, EkaterinaSamsonov, Alex Manette… Durée : 1h25. Sortie en France non déterminée.