Une promesse de FÉLICITÉ à moitié tenue

Après Andalucia et Aujourd’hui (tourné à Dakar), Alain Gomis poursuit son voyage vers le Sud en situant sa Félicité à Kinshasa. Ce nouveau film dénote une volonté claire de la part de Gomis de passer un cap, d’atteindre la « grande forme » cinématographique ; mais le résultat n’est pas entièrement convaincant.

Cette aspiration de Gomis fait qu’il existe deux films dans Félicité, et l’un vient peser sur ce que l’autre construit. La première incarnation de Félicité prend la forme connue d’un drame naturaliste : l’héroïne éponyme du film, chanteuse dans un bar, doit récupérer l’argent nécessaire à l’opération chirurgicale dont son fils a besoin, suite à un accident de moto. Car visiblement à Kinshasa tout se paie comptant et à l’avance à l’hôpital, où qui plus est les petites arnaques pour de petits profits (se proposer d’aller chercher les médicaments de quelqu’un à la pharmacie et s’évaporer avec l’argent ainsi prêté) sont tout autant monnaie courante que partout ailleurs dans la ville. Le parcours de combattante de Félicité à travers Kinshasa, et le portrait de la capitale congolaise qui est réalisé en filigrane de ses allées et venues, constituent la meilleur part du film. Marchant dans les pas des frères Dardenne ou du Brillante Mendoza de Ma’Rosa, Alain Gomis exécute une partition solide où s’épaulent suspense et tragédie, actes personnels et mouvements de la ville vue comme un tout ; un organisme autonome et intimidant dont Gomis sait remarquablement capter la physionomie, le tempérament, les éclats par la manière dont il le filme.

Il est évident, jusqu’à la toute fin, que Félicité est à son meilleur lorsqu’il reste à hauteur d’humain, sans chercher à surplomber ses personnages

Le second film, plus encombrant, est un sur-moi trop artificiellement greffé à ce cinéma direct, fait d’actions et d’observations. Selon toute probabilité, Gomis ambitionne d’exprimer ainsi ce qui se joue au cœur de son récit et dans l’âme de son héroïne, par des voies symboliques plutôt qu’explicitement narratives : des scènes oniriques surviennent pour emmener l’héroïne loin de la ville, dans la savane ; un orchestre existant à l’écart du reste du film interprète des morceaux dont la solennité rompt avec le répertoire de variété que chante Félicité. Toutes ces séquences ne parviennent cependant pas au niveau d’excellence, et de magnétisme, des maîtres du genre chez qui Gomis vient puiser son inspiration. Vouloir suivre les traces de Weerasethakul et de Malick se révèle contreproductif, surtout dans la seconde moitié du film où la course contre la montre laisse la place à la nécessité de reconstruire sa vie, son foyer. Péchant déjà par des problèmes de rythme (trop lâche) et d’enjeux (pas assez soutenus), ce deuxième temps du récit ploie sous le poids des effets emphatiques que le cinéaste a cru devoir ajouter. Alors qu’il est évident, jusqu’à la toute fin, que Félicité est à son meilleur lorsqu’il reste à hauteur d’humain, sans chercher à surplomber ses personnages – la plus belle scène du film, émouvante et drôle, est la réparation d’un frigo par une personne devant deux autres, dans la modeste pièce à vivre de leur maison.

FÉLICITÉ (France, 2017), un film d’Alain Gomis, avec Véro Tshanda Beya, Gaétan Claudia, Papi Mpaka. Durée : 123 minutes. Sortie en France le 29 mars 2017.